La culture occidentale à l’ère de la raison pratico-formelle (une vision mécaniste)

Comme le montre Serge Latouche, quel que soit l’endroit où vous partirez en vacances, vous avez de grandes chances de trouver les mêmes concepts culturels communs, qui correspondent à la culture occidentale. Celle-ci est bien plus complexe qu’une simple culture, c’est une façon de concevoir le monde, de le « comprendre » de s’imbriquer dans les autres cultures et d’en métamorphoser leurs essences. 

 

Création de la pensée postmoderne :

Il est d’usage, du moins en philosophie dite continentale, d’associer le phénomène de l’aliénation de l’homme par rapport au monde à l’avènement de la fin du rêve porté par l’humanisme cartésien ou la découverte métaphysique de l’homme chez Descartes. De ce point de vue, la formule du Discours de la méthode, d’après laquelle les hommes auraient désormais à se « rendre comme maîtres et possesseurs de la nature », marquerait le commencement du désenchantement du monde, c’est-à-dire de ce processus par lequel l’homme occidental opère une rupture, épistémologique et métaphysique, entre, d’une part, ce qu’il est, à savoir essentiellement, pour Descartes, une substance pensante, et, d’autre part, la nature conçue comme une chose étendue dépourvue d’âme et tout entière offerte à la connaissance et à la domination scientifico-technique de l’homme, soumise à l’« arraisonnement ». Pour Descartes et le siècle des lumières donc, le raisonnement logique et l’imaginaire s’opposent (le deuxième menaçant le bon fonctionnement du premier), tout ce qui relève de la foi, de l’imaginaire ou du symbolique doit être évacué. La modernité est donc, dans ce principe, le mouvement de sortie du religieux, et donc le remplacement de la religion dans l’organisation sociale par la raison. Cela va nous mener à ce que nous connaissons comme l’institution de la science, laquelle en retour change complètement l’idée de la connaissance. La modernité est donc la création d’une vision d’un avenir utopique basé sur la raison. 

La société vue par les philosophes des Lumières présente alors l’être humain comme un individu indépendant qui se retrouve en société pour faciliter et produire ce dont on a besoin, et pour se protéger des menaces extérieures. Le mot société évoque alors une série d’images qui relèvent du monde matériel-utilitaire. Donc pour construire le meilleur des mondes, ce paradis terrestre à jamais libéré du préjugé, de la superstition et des passions correspondantes, il suffira d’organiser scientifiquement l’humanité (ce sera la formule du philosophe Renan) ou au moins, d’en proposer un modèle de fonctionnement intégralement compatible avec les exigences de la raison. C’est pourquoi dès la fin du 17e siècle, la plupart des partisans du « progrès » s’activent inlassablement pour découvrir les principes fondamentaux d’une « science de la nature humaine », autrement dit d’une « physique sociale », censé pouvoir formuler l’ensemble des lois de la mécanique humaine sur le modèle indiscutable du système de la nature établie par Newton. Les conséquences de cette hypothèse (que les philosophes appellent généralement « l’utilitarisme ») sont absolument décisives pour comprendre le monde qui est le nôtre. Il peut être important ici de souligner que l’utilitarisme est sacrificiel. C’est-à-dire que ce qui  n’est pas utile est exclu de ce qui « doit » être fait. Quand Flaubert écrit Boulevard et Pécuchet, l’année de sa mort, en 1880, Auguste Comte est décédé depuis longtemps, mais le positivisme dont il est le père n’est pas mort. Au contraire, il est devenu l’idéologie dominante de la 3eme république. On croit dans la science, dans la technique, dans le progrès, dans la culture et dans l’Etat. On y croit comme on a cru aux superstitions religieuses. On pense que la culture et la science vont sauver le monde. Cette culture occidentale a réussi à s’imposer presque partout via la science et la technique. La science et avec elle le rationalisme, devient alors un moyen des plus puissants, pour coloniser les corps et les esprits de toutes les cultures basées sur notre planète. 

Seulement l’échec du projet de la modernité (nottament avec les 2 guerres mondiales, et l’arrivées de problèmes structuraux économiques, écologiques, sociaux, ont amener avec un un discours méta, critique des récis porté par la modernité. Ce mouvement se nomme la postmodernité.  La thèse selon laquelle, d’une part, les histoires globales (appelées « méta-narration ») qui prétendent, comme le fait le marxisme, résumer toute l’histoire humaine, ne sont pas crédibles ; d’autre part, que le savoir, confondu aujourd’hui avec l’information stockée dans des bases de données et possédée par de grandes sociétés commerciales, n’est produit que pour être vendu. Le postmodernisme peut donc se définir comme une philosophie critique à l’égard du rapport moderne à la vérité. La postmodernité se manifestant comme un mouvement qui englobe la culture, l’art, la philosophie et la littérature en opposition au mouvement moderne. En soi, ce mouvement réfute tout le sérieux et la rationalité du modernisme, en plus d’être dans l’exploration totale d’une nouvelle manifestation qui accorde une attention exclusive aux formes et non au conventionnalisme. L’une des caractéristiques de cette époque qui a marqué un avant et un après dans la société est l’absence d’idéologies définies. Alors que la modernité était surtout déterminée par la rationalité, l’ordre, l’uniformité et le fait qu’il n’y a qu’une seule vérité absolue. D’autre part, la postmodernité annonce l’approbation des états émotionnels et intuitifs que l’on retrouve chez tous les êtres humains, la pluralité et la possibilité que nous puissions tous avoir une perception et une pensée différentes. 

Face à une vision culturelle fortement postmoderne, la politique, n’ayant plus de récit structurant c’est retrouvé à s’appuyer et se reposer sur un discours de plus en plus basé sur d’un côté les techniques de communications et de l’autre, l’expertise technocratique, majoritairement financière. 

 

Analyse de la pensée postmoderne :

La vision mécaniste du monde est un savant mélange de scientisme (dont vous trouverez un article qui en parle ici), et de rationnel pratico-formel. Explication : 

Le Rationnalisme est l’ensemble des facultés intellectuelles considérées du point de vue de leur état et de leur usage par rapport à la norme. Il faut donc savoir que le rationnel est une notion totalement culturelle. (Voir ici un article sur ce qu’est la norme de nos jours

Un panda, un singe et une banane. D’après vous, dans cette liste, quels éléments font la paire  ? Les répondants des pays occidentaux choisissent couramment le singe et le panda, parce que les deux sont des animaux. Il s’agit d’un style de pensée analytique, dans lequel les objets sont perçus indépendamment de leur contexte. En revanche, les participants des pays orientaux choisissent souvent le singe et la banane, parce que ces objets appartiennent au même environnement et partagent une relation (les singes mangent des bananes). Il s’agit d’un style de pensée holistique, dans lequel l’objet et le contexte sont perçus comme étant interconnectés.

Si on vous demandait de vous décrire, que diriez-vous ? Vous décririez-vous en termes de caractéristiques personnelles – intelligence, humour – ou mentionneriez-vous des préférences, comme « J’adore la pizza » ? Ou peut-être seriez-vous plus enclin à parler de votre position sociale, en disant « J’ai un enfant » ? Les psychologues sociaux soutiennent depuis longtemps que les gens sont beaucoup plus susceptibles de se décrire et de décrire les autres en termes de caractéristiques personnelles stables. Cependant, la façon dont les gens se décrivent semble étroitement liée à leur culture. Les individus du monde occidental sont en effet plus susceptibles de se considérer comme des individus libres, autonomes et uniques, possédant un ensemble de caractéristiques fixes. Mais dans de nombreuses autres parties du monde, les gens se décrivent avant tout comme faisant partie intégrante de différentes relations sociales et fortement liés les uns aux autres. Ce phénomène est plus répandu en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Ces différences sont liées à d’autres façons d’aborder les relations sociales, la motivation et l’éducation.

Un autre exemple avec la nature, selon notre culture, on peut faire  comme distinctions naturelles : un savoir des plantes, un savoir des animaux, un savoir des astres, etc. Mais dans une toute autre culture, ses critères n’auront aucune forme de logique et pourront paraître totalement irrationnel, préférant mélanger science et ce que l’on nomme magie pour décrire la nature. Le problème étant qu’une fois le cadre posé et dit comme scientifique en lien avec nos normes, ces savoirs apparaissent tout à fait naturels : cf savoir spécifique : zoologie, botanique, astronomie. Ce qui entraîne une volonté de retranscrire notre cadre dans les autres sociétés, parce que logique pour nous : basé sur une ethnoscience (« L’ethnoscience pose la communication dans une perspective sociale : les individus agissent dans un cadre normalisé selon des règles et des conventions qui sont socio-culturellement bien définies » Jean Caelen).

 

Répercussion sociale de la pensée postmoderne : 

Pour le libéralisme expliqué par Adams Smith “la société est l’espace à l’intérieur duquel se déploient de manière autonome les mouvements des actions individuelles, où chaque partie s’accomplit conformément à ses propres fins, la liberté sans autre intention.”
Si nous admettons que tout Homme est déterminé par sa nature à ne rechercher que ce qui lui est utile, alors l’échange économique devient l’exemple le plus net d’une relation humaine rationnelle. Puisque chaque participant, au terme d’une négociation supposée pacifique, finit toujours par y trouver son compte. Une fois fait table rase de son absurde passé, la société ne pourra que devenir progressivement pacifique, prospère et heureuse. La vision mécaniste, fortement basée sur l’humanisme des lumières est fondée sur une mystique de « l’an 01 » un film qui retranscrit le rêve d’un changement rapide et profond de la société vers une forme d’utopie. Cela entraîne de fait une marchandisation des relations humaines, en réduisant l’Homme à une transaction

 

Notre société postmoderne à évolué dans une forme spécifique de rationalisme : le rationnel pratico-formel

Notre organisation sociale est parvenue à transgresser notre principe républicain d’élaboration des Lois en « confisquant » le pouvoir démocratique et les débats citoyens au profit de l’adoption de normes édictées par les impératifs de la « religion du marché » (Pier Paolo Pasolini cité par Roland Gori.). Autrement dit : comment notre système institutionnel a pu « glisser », en à peine quelques décennies, d’un ancien régime centré sur la Loi adoptée démocratiquement à une société gestionnaire centrée sur des normes édictées par des « experts » à la solde de la propagande capitalistes. Cette évolution est nommé par Roland Gori : la rationalité pratico-formelle. Ce type de rationalité pratique, qui émane d’une civilisation des mœurs telle que Max Weber a pu en faire l’analyse dans plusieurs de ses essais, n’est rien d’autre que la primauté de la forme sur le fond, de la quantité sur la qualité, de l’individualité sur l’intérêt général, des apparences sur la performance, de la réputation sur le travail, de la popularité sur le mérite, de l’opinion sur les valeurs, etc. telles que façonnées par les normes, les évaluations, les sondages, les statistiques, etc.

 

La « folie de l’évaluation », qui prétend tout mesurer, tout « quantifier », et produit du conformisme et du faux-semblant.

L’évaluation fait partie de nos vies quotidiennes. On évalue en permanence, quand on va au restaurant, au cinéma, etc. Le problème vient des nouvelles formes sociales de l’évaluation, qui se prétendent objectives alors qu’elles sont simplement formelles et procédurales.

Prenez le facteur d’impact (ou, en anglais, l’impact factor). Cette expression renvoie au taux de citation d’une revue et c’est devenu un critère essentiel d’évaluation de la recherche scientifique. Cela signifie que plus une revue a des auteurs cités, plus elle a un indice de popularité élevé. À partir de là, plus on publie dans ce type de revue, plus on est évalué comme un bon auteur. On confond valeur et opinion. C’est une politique de la marque, de l’Audimat et du spectacle qui fait de l’article une marchandise comme une autre. Ce type d’évaluation quantitative et spectaculaire prend modèle sur la notation en cours sur les marchés financiers.

Les évaluations des chercheurs, celle des enfants de maternelle, celle des équipes hospitalières, du travail social, de l’enseignement, etc. sont établies sur la même base que la notation des agences du même nom. Il s’agit d’émettre une opinion à partir d’un certain nombre d’indicateurs construits à partir des comportements passés. Cette manière d’entrer dans l’avenir à reculons, d’anticiper le futur à partir des logiciels du passé, se généralise à l’ensemble des évaluations sociales. En psychiatrie, cela s’appelle la « méthode actuarielle », qui consiste à évaluer les risques de récidives de comportements déviants de la même manière que les agences de notation définissent les risques encourus lors des placements financiers. C’est la même méthode à tous les étages du social, au risque là encore de produire ce que l’on annonce et de réaliser une prophétie autoréalisatrice.

L’évaluation est par essence ségrégative : elle produit des classements d’individus, elle désigne les meilleurs et stigmatise implicitement les autres. Elle instaure une compétition permanente entre les institutions, les équipes, les chercheurs et les professionnels. Elle porte ainsi atteinte au lien social en constituant comme concurrents et rivaux potentiels ceux qui devraient s’éprouver comme solidaires. 

la « démocratie dexpertise et dopinion »…

 Le problème, ce n’est pas les chiffres, mais le fait qu’on nous assène des chiffres pour désamorcer par avance la possibilité même du débat. La démocratie d’expertise et d’opinion renvoie à cette confiscation systématique de nos possibilités de penser, de débattre. On veut nous faire taire en nous subordonnant aux donneurs de chiffres. De plus en plus, nous nous mettons à croire aux chiffres comme hier en l’animisme ou aux prophéties millénaristes.

Le coût humain de l’évaluation est lourd : non seulement celle-ci accroît les charges de travail de l’évalué et l’incite à faire toujours plus, mais elle est aussi fondamentalement suspicieuse envers lui. Les activités humaines ont toujours fait l’objet d’une évaluation spontanée, reposant a priori sur une confiance accordée aux institutions et aux professionnels. L’évaluation méthodique commence par retirer cette confiance. Elle instaure une surveillance des évalués, qui augmente avec l’exigence : elle n’a pas à justifier sa foncière suspicion puisqu’elle est inhérente à son fonctionnement.

Notre culture dominée par la rationalité pratico-formelle porte une forme d’utilitarisme le plus cynique, propre à favoriser toutes les dérives. Il y a des domaines de connaissance et d’action où les ravages de ces dispositifs sont limités, voire quasiment sans conséquences, et d’autres où ils sont terrifiants car la rationalité pratico-formelle est incompatible avec la finalité spécifique des métiers auxquels elle s’impose : notamment le soin, l’éducation, la justice, le travail social, la recherche, la culture etc. Comme l’écrit Pasolini : « le véritable fascisme est celui qui s’en prend aux valeurs, aux âmes, aux langages, aux gestes, aux corps du peuple, et qui mène, sans bourreaux ni exécutions de masse, à la suppression de larges portions de la société elle-même. »

 

 

Pour aller plus loin : 

  • L’occidentalisation du monde de Serge Latouche
  • L’esprit des lumières de Tzvetan Todorv
  • Les pathologies de la démocratie de Cyntia Fleury
  • La dynamique de l’Occident de Norbert Elias
  • La folie évaluation, les nouvelles fabriques de la servitude de  Roland Gori et Marie-Jean Sauret
  • La tyrannie de l’évaluation de Angélique DEL REY

Un article :