Edgar Morin, anthropologue de notre société contemporaine, a rédigé une œuvre majeure intitulée La Méthode, comprenant six volumes répartis sur une période de trente ans et qui met en lumière les diverses applications d’une pensée complexe et sa nécessité. Il occupe également le poste de Directeur de recherche au CNRS et de Docteur honoris causa pour diverses institutions mondiales. Son travail, que ce soit par des livres, des articles ou des conférences, influence la façon dont nous pensons tant sur ce qui nous entoure que ce qui nous habite.
Edgar Morin se penche sur la nature tripartite de l’être humain : individu/société/espèce. Il s’agit d’anthropologie, dans son sens le plus ancien du mot : l’association de toutes les connaissances sur l’homme qui l’a mené à la transdisciplinarité.
Il élabore son premier principe dès lors : rompre avec la recherche ou la thèse qui confinent son objet. Même le plus petit sujet, bien qu’apparemment minime, ne peut être appréhendé que par son contexte. Il remarque que toutes nos savoirs sont divisés, isolés les uns des autres, alors qu’ils devraient être interconnectés. Sa grande problématique à laquelle il c’est attaqué avec La Méthode, c’est donc la compartimentation de nos savoirs. Cependant, la simple collecte de tous ces éléments ne suffisait pas, il fallait surtout dénicher les outils conceptuels pour les connecter.
Il définira lui-même cette pensée dans son article « La stratégie de reliance pour l’intelligence de la complexité » au sein de la Revue internationale de systémique en 1995
« Quand je parle de complexité, je me réfère au sens latin élémentaire du mot « complexus », « ce qui est tissé ensemble ».
Les constituants sont différents, mais il faut voir comme dans une tapisserie la figure d’ensemble. Le vrai problème (de réforme de pensée) c’est que nous avons trop bien appris à séparer. Il vaut mieux apprendre à relier.
Relier, c’est-à-dire pas seulement établir bout à bout une connexion, mais établir une connexion qui se fasse en boucle. Du reste, dans le mot relier, il y a le « re », c’est le retour de la boucle sur elle-même. Or la boucle est auto productive.
À l’origine de la vie, il s’est créé une sorte de boucle, une sorte de machinerie naturelle qui revient sur elle-même et qui produit des éléments toujours plus divers qui vont créer un être complexe qui sera vivant.
Le monde lui-même s’est autoproduit de façon très mystérieuse. La connaissance doit avoir aujourd’hui des instruments, des concepts fondamentaux qui permettront de relier. »
La stratégie de reliance pour l’intelligence de la complexité, Revue internationale de systémique, vol. 9, n°2, 1995
L’approche systémique occupe une place significative dans la pensée complexe. Effectivement, la pensée complexe est un type de réflexion non-réductionniste qui se déploie dans divers domaines pour exprimer un savoir globalisant constructif.
L’approche quantificatrice, fragmentée et parcellaire, nous amène à une intelligence aveugle, car elle néglige la capacité normale d’une personne à connecter les connaissances au profit d’une capacité non moins normale à les séparer. Parce que connaître consiste en une boucle continue, séparer pour examiner et connecter pour synthétiser ou complexifier. Le caractère séparateur de la prévalence disciplinaire nous empêche de pouvoir relier et contextualiser une information ou un savoir dans son contexte naturel. Nous perdons la capacité de globaliser, c’est-à-dire de présenter les savoirs dans une structure plus ou moins structurée. L’objectif de ce travail n’est pas d’annuler nos capacités analytiques ou séparatrices, mais plutôt d’y incorporer une pensée qui connecte.
Pour cela il va utiliser et construire une suite de concept qu’il expliquera dans sa méthode. En voici un bref résumé :
Le système
Il s’agit d’une méthode qui est apparue récemment dans notre compréhension, alors que l’idée prédominante dans l’histoire de la science était que la connaissance des parties ou des composantes essentielles suffisait pour comprendre les ensembles, ces derniers ne représentant finalement que des créations mécanistes comportant des pièces que la science a pour mission de différencier. Une notion bien établie depuis longtemps se réaffirme : que le tout dépasse la simple somme des parties. Il est possible d’affirmer que le concept de système, ou d’organisation, comme le préfère Edgar Morin, facilite la liaison et la fusion des différentes composantes pour nous débarrasser de connaissances fragmentaires.
La causalité circulaire
Une seconde notion essentielle est celle de la circularité ou de la boucle. On a fréquemment employé ce concept, mais sans le nommer. On peut illustrer cela de manière simple : lorsqu’on effectue une version dans un langage étranger, on tente de comprendre un sens global temporaire de la phrase. On connaît quelques mots et consulte le dictionnaire pour comprendre ce que signifie la phrase. Cela facilite la fixation des mots et les permet de les extraire de leur polysémie pour obtenir un sens clair. Si nous parvenons à suivre ce processus, nous parvenons à obtenir la traduction appropriée. Il s’agit de la notion de boucle régulatrice, dans laquelle le retour de l’effet sur la source annule la déviance, garantissant par conséquent une autonomie partielle du système. C’est le cas du système de chauffage, composé d’une chaudière et d’un thermostat, qui préserve la autonomie thermique d’une pièce.
L’idée de boucle est d’autant plus captivante et fructueuse qu’elle ne repose pas sur le concept d’une boucle régulatrice, mais peut se transformer en une boucle auto-génératrice, c’est-à-dire que les effets et les produits deviennent indispensables pour la production et pour ce qui les génère. Par exemple, nous-mêmes, qui sommes les produits d’un processus biologique de reproduction, contribuons à la continuité du cycle en tant que producteurs. Par conséquent, la société découle des échanges entre individus, mais sur une échelle plus large, de nouvelles caractéristiques qui, en retourant aux individus – le langage et la culture – favorisent leur développement personnel. La société qui produit les individus est la source de production des individus.
On peut en tirer deux conséquences importantes : D’une part, nous sommes confrontés à un produit producteur, ce qui est clairement contraire à la logique traditionnelle. D’autre part, la notion d’auto-production et d’auto-organisation se manifeste. Non seulement nous pouvons renforcer davantage l’idée d’indépendance, mais aussi, nous pouvons appréhender le processus continu qui est celui de la réorganisation ou de la régénération.
Plus notre esprit aspire à son autonomie, plus il est nécessaire qu’il se nourrisse de cultures et de savoirs distincts. En tant qu’individu social, nous assumons l’altérité de la société. En tant que penseurs, nous assumons l’altérité du patrimoine génétique qui est celui de l’humanité et du patrimoine pulsionnel qui est celui de notre animalité. Ainsi, nous parvenons à un certain nombre de concepts qui facilitent le lien plutôt que la division.
La dialogique
On peut qualifier ce concept d’héritage de la dialectique. Non pas de manière réductrice, comme on la perçoit généralement en tant que simple superposition des contradictions par une synthèse, mais plutôt en tant que présence essentielle et complémentaire de processus ou d’instances opposés. L’association complémentaire des antagonismes nous donne la possibilité de connecter des idées qui se rejettent mutuellement, comme par exemple le concept de vie et de mort. Parce qu’il existe plus d’antagonistes que la vie et la mort. La compréhension du processus de vie, le système de régénération que j’ai évoqué précédemment, exploite la mort cellulaire pour les renouveler. En d’autres termes, la vie fait appel au mort. Le cycle trophique de l’écologie, qui autorise les organismes vivants à se nourrir mutuellement, les alimente par la mort d’autrui. Nous percevons là une opportunité de connecter des concepts sans négliger leur divergence.
Le principe hologrammatique
Cela implique que dans un système, dans un univers complexe, non seulement une composante appartient au total (comme nous sommes les individus qui vivons dans le cosmos), mais aussi la totalité appartient au fragment. Non seulement l’individu fait partie d’une communauté, mais la communauté est en lui. Dès sa naissance, elle lui inculque le langage, la culture, les interdits et les normes de celle-ci. Elle renferme également les particules qui ont formé notre univers. Nous possédons le monde minéral, végétal, animal, des vertébrés et des mammifères entre autres. C’est dans notre singularité que nous emmagasinons l’intégralité de l’univers, nous positionnant au point culminant de la relation possible.
On peut constater l’apparition de ce point de vue dans diverses disciplines, désignées comme les sciences systémiques, où on observe la formation d’approches complexes et multidisciplinaires, telles que les sciences du sol, l’écologie et la cosmologie. Dans le domaine de l’écologie, l’écologue est un orchestrateur qui considère les déséquilibres, les régulations et les perturbations des écosystèmes. Il sollicite les compétences propres aux zoologistes, botanistes, biologistes, physiciens, géologues, entre autres.
Conclusion :
En utilisant la pensée complexe, nous avons le pouvoir d’aborder le concept de l’humain, de la nature et du cosmos. Cela permet de restaurer la relation entre les deux cultures, d’établir un dialogue et de se positionner dans un univers où le local et le global se mêlent.
Il est crucial de discuter des répercussions éthiques que la continuité des savoirs peut engendrer. Effectivement, la moralité, la solidarité et la responsabilité ne peuvent pas être imposées de manière abstraite. Elles découlent du mode de pensée et de l’expérience vécue. La notion de lien illustre la cohésion des phénomènes. La relation entre nous et le cosmos révèle non seulement nos racines physico-cosmiques, mais également que nous sommes des apparitions. Nous nous trouvons dans la nature, mais nous sommes éloignés de celle-ci grâce à une relation dialogique. Cependant, une idée qui nous connecte renforce la solidarité. Par conséquent, de nos jours, les idées environnementales soulignent notre distinction, car nous avons tendance à détruire ce milieu naturel. Par conséquent, elles soulignent notre lien vital avec la nature.
Les idées peuvent soit nous permettre de découvrir le monde, soit, en revanche, nous entraver sa connaissance. Car les pensées générées par l’esprit humain acquièrent leur propre autonomie et peuvent potentiellement nous submerger. Par le biais des idéologies, nous avons la possibilité d’être soumis aux concepts que nous avons créés. Selon Edgar Morin dans son Éthique (6e volume de La Méthode), il est impératif que tout choix soit pris en conscience car il s’agit d’un pari. Dès qu’une action entre dans un environnement spécifique, elle subit des rétroactions et les perturbations de ce dernier, risquant ainsi de se détourner de sa signification. C’est pour cette raison qu’il est nécessaire de la maîtriser grâce à une stratégie appropriée, qui intègre constamment les nouvelles données que l’on obtient par accident ou spontanément.