Internet : une révolution culturelle et économique.

« L’imprimerie a permis au peuple de lire, Internet va lui permettre d’écrire. » De Benjamin Bayart

« Rendez-vous compte sur internet, n’importe qui peut dire n’importe quoi. » Un député, Assemblé Nationale.

 Effectivement lui il trouve peut-être scandaleux que n’importe qui puisse dire n’importe quoi, moi ça me rappelle furieusement l’article 11. Donc effectivement je suis bien d’accord avec lui, rendez-vous compte sur internet, l’article 11 de la déclaration de 1789 est, 200 ans après, enfin applicable. C’est intéressant comme effet. Lui, il trouvait que c’était un problème, moi je trouvais que c’était une solution.

Nous sommes en train de connaitre le début d’une révolution culturelle extrêmement impressionnante. Comme la révolution culturelle de la renaissance n’aurait jamais pu se faire sans l’imprimerie qui a permis au peuple de lire, lui permettre aujourd’hui d’écrire et de s’exprimer réellement, étant vue par des milliers de personnes si le contenu est percutant, un accès enfin concret sur la liberté d’expression via le Net, va de ce fait générer une révolution culturelle énorme.

Les premiers à être impactés ce sont donc les politiques. Ils sont quelque part, dépossédés de la parole publique. De nos jours, le premier qui n’est pas content, il ouvre un blog, il l’intitule « pas content », il fait des articles sur pourquoi il n’est pas content. Et pour peu qu’il ait des arguments un peu fondé c’est-à-dire que si ça se limite à « pas content » ça va pas faire un gros gros succès d’audience, mais pour peu qu’il ait des arguments un peu fondés, un peu construits, il vient immédiatement empiéter sur les platebandes des hommes politiques. Vous pouvez voir ils ont tous essayé d’ouvrir des blogs ; ils ont, pour les plus mauvais d’entre eux, douze lecteurs par jour, pour les meilleurs quelques milliers, les blogs qui ont très grosse fréquentation en France c’est plutôt en dizaines ou en centaines de milliers de lecteurs par jour. Pour vous donner une idée cent mille lecteurs par jour c’est plus que la majorité des quotidiens nationaux.

Essentiellement en étant internaute. La méthode de l’internaute c’est, soit je trouve des choses qui me plaisent, je les lis. Éventuellement je les commente. Éventuellement, j’écris les petits papiers pour dire « Allez lire ce qu’il a écrit, c’est intéressant parce qu’il écrit mieux que moi ». Soit je ne trouve pas ce que j’ai envie de lire. Et dans ce cas là, je l’écris.

Et on change complètement de mode de production. On change complètement de mode de pensée. Mon opinion n’est pas défendue ? Dans le mode de pensée précédent, on râle. Dans le modèle internet, pas du tout. « Mon opinion n’est pas défendue ? » C’est de ma faute, je ne l’ai pas défendue. Je ne l’ai pas exprimée, comment voulez-vous que quelqu’un la défende ? Ça change complètement le mode de réflexion.

En étant internaute dans notre mode de réflexion et dans notre mode de fonctionnement, en produisant des contenus intelligentson lutte contre le phénomène de contrôle d’internet. Il n’y a même pas besoin de dire du mal d’Hadopi. Il suffit de réfléchir et d’exprimer sa réflexion en ligne pour rendre le système incontrôlable.

Revenons au débat sur HADOPI :

Le principe d’HADOPI c’est que, pour empêcher que les enfants, en écoutant de la musique, tuent les artistes. On va permettre aux majors d’exercer une surveillance des réseaux pour essayer de détecter qui partage de la musique. Si j’utilise mon accès pour faire des bêtises et bien je suis privé d’accès comme les enfants sont privés de télé. Sur un texte qui à l’air finalement pas très pénible, ils ont quand même réussi à se faire censurer par le Conseil Constitutionnel sur la base, entre autres, de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789.

Comment un machin, qui sert à priver de télé les enfants, peut se terminer par une sanction du Conseil Constitutionnel – ce n’est quand même pas les plus gauchistes et les plus libertaires de France. j’ai extrait 2 paragraphes à peu près lisibles du communiqué de presse qu’ils ont sortis. S’il y a des juristes dans la salle, c’est subtilement simplificateur. Ça nous dit :

“La liberté de communication et d’expression, énoncée à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, fait l’objet d’une constante jurisprudence protectrice par le Conseil Constitutionnel. Cette liberté implique aujourd’hui, eu égard au développement généralisé d’Internet et à son importance pour la participation à la vie démocratique et à l’expression des idées et des opinions, la liberté d’accéder à ces services de communication au public en ligne.”
 

Là, le Conseil Constitutionnel vient de dire qu’Internet ce n’est pas la télé. Il vient de dire qu’Internet est un outil… cette liberté implique la liberté d’accéder à ces services de communication au public en ligne, c’est-à-dire à Internet.

“Or les articles 5 et 11 de la loi déférée confiaient à la commission de protection des droits de la HADOPI des pouvoirs de sanction l’habilitant à restreindre ou à empêcher l’accès à Internet à des titulaires d’abonnement. Ces pouvoirs pouvaient donc conduire à restreindre l’exercice, par toute personne, de son droit de s’exprimer et de communiquer librement. Dans ces conditions le législateur ne pouvait quelles que soient les garanties encadrant le prononcé des sanctions, confier de tels pouvoirs à une autorité administratrice dans le but de protéger les titulaires du droit d’auteur. Ces pouvoirs ne peuvent incomber qu’au juge.”

Alors d’habitude quand le Conseil Constitutionnel dit ça… c’est assez simple en droit : si c’est privateur de liberté fondamentale c’est le juge. Dans les décisions relativement courantes en droit qui sont privatrices de libertés fondamentales, il y a l’emprisonnement. De nos jours il est couramment admis qu’on ne peut pas condamner quelqu’un à de la prison sans passer par un juge. Il y a 2 ou 3 petites entorses pour 2 jours voir 6 en garde à vue, mais c’est le seul point.

Donc ce que vient de dire le Conseil Constitutionnel c’est que l’air de rien, sur l’air de “on va priver les enfants de télévision” le gouvernement était en train de porter une atteinte sérieuse à la liberté fondamentale. On n’est plus du tout dans la question de savoir si les enfants écoutent de la musique comme il faut ou pas. On a complètement changé de registre. Ce n’est pas que nous opposants au texte qui avons changé de registre, c’est le Conseil Constitutionnel qui a changé de registre. Si on avait milité pour qu’il soit fait une modification à la Constitution pour y faire inscrire l’accès à Internet comme étant une liberté fondamentale, tout le monde nous aurait ri au nez. Ils auraient bien fait, c’est déjà dedans ! Bien foutue la Constitution.

La neutralité du réseau

Maintenant si on essaie de comprendre ce que ça veut dire. Pourquoi c’est important. On sent bien qu’Internet est important. Il y a un point dont le Conseil Constitutionnel n’a pas encore pris la mesure qui est la neutralité du réseau. Il y a une raison à ça, c’est que c’est assez épouvantable à expliquer.

Le premier point, c’est que le message peut poser problème, pas le messager. Je veux dire, on ne condamne pas le messager pour le message qu’il transporte, ça, ça se sait à peu près depuis les épisodes de marathon, ça fait quelques siècles tout de même, c’est la Grèce antique. Ça ne se fait pas de condamner le messager pour le message.

L’autre façon de le dire ce que c’est la neutralité du réseau c’est le fait que La Poste n’ouvre pas les lettres. Je vous la refais différemment : je n’ai pas le droit d’utiliser le pli postal pour certains usages, par exemple pour envoyer de la cocaïne à des amis qui en ont besoin. Ou pour que mes amis qui en ont alors que moi je n’en ai pas puissent m’en envoyer, j’ai beaucoup d’amis en Colombie. La Poste n’ouvre pas les lettres, y compris si elles contiennent de la cocaïne, la Poste n’en a pas le droit. L’autorité qui a le droit de faire ça, ce n’est pas la poste, c’est les douanes. Surtout que la Poste une fois privatisée ce serait encore plus embêtant, ce serait un organisme privé qui serait chargé de faire appliquer la loi en ouvrant le courrier des gens.

La question clé en fait sur la neutralité du réseau, c’est que, quel que soit ce qu’on veut faire, ce ne soit pas le réseau qui le fasse. La neutralité d’Internet qui est un réseau très particulier pose d’autres problèmes.

Souvent dans les médias vous avez peut-être déjà lu cette expression – c’est le réseau des réseaux. Ce que ça veut dire ce journaliste, c’est qu’Internet n’est que la norme commune respectée par un certain nombre de réseaux de manière volontaire qui va permettre de s’interconnecter. Ce qui fait que moi, abonné chez free, je peux consulter la page perso de quelqu’un qui est abonné chez orange. Internet c’est le réseau des réseaux. Le fait que tout le monde soit d’accord sur les règles à respecter est fondamental, sans quoi il n’y a plus de réseau.

Internet étant le réseau des réseaux est par définition acentré. Il n’y a pas d’opérateur qui soit le centre d’Internet et par lequel tout passe. L’exemple immédiatement strictement opposé à ça c’est le réseau du minitel. Un réseau du minitel ça a un centre. Quand vous êtes connecté à un serveur de minitels, toutes les machines, tous les petits minitels périphériques sont connectés sur le même gros ordinateur central et ne peuvent pas être connectés à un autre en même temps. C’est un réseau typiquement qui a une forme d’étoile. Ce n’est pas le cas d’Internet. Dans Internet il n’y a pas d’opérateur plus central que les autres.

Maintenant, est-ce que la neutralité du réseau est une liberté fondamentale ? Parce qu’on était pas loin de ça, dans ce que disait le Conseil Constitutionnel. Basiquement non, on sent bien que ce n’est pas la neutralité du réseau qui est une liberté fondamentale. Par contre, la liberté d’expression le Conseil Constitutionnel dit que c’est une liberté fondamentale, ça, ça fait 220 ans qu’on est au courant, et il se trouve que la liberté d’expression est adossée à la neutralité du réseau. Si le réseau n’est pas neutre et peut décider de filtrer, alors on se retrouve – d’après la définition du Conseil Constitutionnel – avec un accès restreint. Un accès restreint c’est une entrave à la liberté fondamentale.

Et puis enfin, il y a des vraies questions de vie privée. On sait bien que tout ce qu’on publie sur le réseau, y’a des parties dont on souhaite qu’elles soient privées et pour savoir que ça reste privé, il faut avoir confiance dans le réseau. Si le réseau me ment, quand je publie une photo, en cochant toutes les cases en disant « je veux que ça reste privé », les photos des parties fines qu’on fait avec des amis, que ça soit publié, pour qu’on puisse se les échanger entre nous, « souvenirs de vacances », si le réseau me ment, comment je sais que ça a été pris en compte le fait que j’ai demandé à ce que ça soit privé ? Du coup je ne peux plus savoir si ma vie privée est respectée. Le réseau me ment. Quand je cherche à voir les photos sans m’authentifier, il me dit « ce n’est pas accessible ». Mais si ça se trouve, quelqu’un d’autre peut y avoir accès sans s’authentifier. Je ne peux pas savoir, je ne peux plus avoir confiance dans le réseau. Je ne peux plus savoir si ma correspondance est privée ou pas.

En fait la neutralité du réseau, ce n’est pas une liberté fondamentale. Par contre, c’est un principe. Exactement, et j’aime bien cette comparaison, comme la séparation des pouvoirs. La séparation des pouvoirs en soi, ce n’est pas une liberté, c’est un principe. Et sur ce principe sont adossés un certain nombre de libertés et de droits. De la même manière, la neutralité du réseau, c’est un principe, et sur ce principe, sont adossées les libertés fondamentales, certaines assez sérieuses. 

De plus au niveau économique, l’internet via le virtuel montre la aussi un changement des plus important, ou l’on commence la aussi à peine à voir les enjeux autant au niveau de la musique ou des films, que de la presse. Ce changement est la différence fondamentale entre une économie de rareté et une économie d’abondance.

L’économie de rareté, c’est que si je vous vends mon ordinateur, j’ai plus d’ordinateurs. L’économie d’abondance c’est quand je vous donne le bonjour, je ne l’ai pas perdu.

C’est fondamental, ça n’a rien à voir. L’économie de la rareté c’est l’économie des biens matériels. L’économie d’abondance c’est l’économie du savoir. Un prof qui fait cours, une fois qu’il a fini son cours, ce n’est pas vrai qu’il a vendu son savoir puisqu’il l’a encore. Le prof qui a fini de faire cours, il n’est pas plus ignorant à la fin qu’au début, plus fatigué à la rigueur, mais plus ignorant non. C’est très important à comprendre.

Sur internet le coût de production marginal est nul. C’est-à-dire que toutes choses égales par ailleurs, que nous échangions ou non ce morceau de musique, tout le monde payera le même prix. Le coût marginal de production d’un exemplaire supplémentaire est nul. En toute logique, n’importe quel économiste qui a à peu près compris la loi de l’offre et de la demande, sachant que le coût marginal de production est nul, que l’offre est illimitée puisque le réseau ne s’arrête pas, et que la demande est forcément limitée parce que vous n’écoutez pas 18 heures de musique par jour, alors mécaniquement le droit de prix de vente se doit d’être nul. À partir du moment où le prix de vente est nul, je vous laisse deviner : comme pourcentage ça va mal se mettre.

Si on essaye d’appliquer les lois de l’économie de la rareté (offre et demande, coût de production, marges, etc.) à une économie d’abondance, ça ne marche pas.

Qui est concerné ? Ben on sent bien le parallèle avec l’imprimerie. Qui était concerné par l’imprimerie ? Ben tous ces pauvres moines copistes mis au chômage. Qui est concerné par l’arrivée d’internet et par le fait qu’on a plus besoin de support matériel pour échanger des œuvres ? Ben les moines copistes de DVD. Il va falloir qu’ils arrêtent de fabriquer des petits DVD à la main pour les vendre dans les chapelles : ça ne sert à rien. Qui d’autre ? Et bien tous les autres gens dont leur métier est adossé sur le droit d’auteur. Par exemple la presse, un vrai problème à régler. Parce que ce que vous achetez quand vous achetez le journal, c’est essentiellement du papier. Ce qui coûte le plus cher dans un quotidien c’est le papier. Après faut payer la rédaction. Mais c’est le papier qui fait le prix de vente. À partir du moment où il n’y a plus la vente d’exemplaires papier, quelle est la valeur ? Ça ne peut pas être une valeur basée sur l’économie de la rareté. Ils ont exactement le même problème. 

Sur les travaux de Benjamin Bayart

un documentaire à découvrir :