La mystique, une expérience du sacrée

C’est un mot qui vient du grec mustikos, qui désignait un mystère, cela fait référence un culte religieux de l’antiquité. La mystique telle qu’on l’entend aujourd’hui va s’inscrire dans la religion chrétienne et se développer à partir du IIIe siècle de notre ère.  Ce n’est pas une expérience mentale, c’est d’abord une expérience du corps. Elle a son siège dans le cœur, et le corps en est l’habitacle. La tradition mystique renvoie à l’œuvre et au témoignage de plusieurs écrivains ayant exploré, par leur pensée et leur recherche, les profondeurs du mystère de Dieu.

 

 

La question de l’expérience mystique est compliquée. En cherchant « expérience mystique » sur internet, on trouve : « Comment obtenir une expérience mystique ». L’expérience mystique ne s’obtient pas, c’est une rencontre avec le divin. C’est ce que vivent tous les grands mystiques, Thérèse d’Avila comme Marie de l’Incarnation : une rencontre d’une grande puissance, qui leur tombe dessus sans crier gare.

Aujourd’hui, c’est un phénomène plutôt à la mode. Il n’est pas récent, mais il revient au prix d’une confusion, à côté d’une spiritualité comprise comme confort, qui laisse une large part au sentiment et à l’intuition. La mystique a un aspect péjoratif, parce qu’on l’associe à des états psychologiques troubles, ou bien à des rêveries d’inspiration religieuse. Or la mystique admet une tout autre définition. C’est un mode de connaissance de Dieu ou de l’absolu qui est issu de l’expérience, c’est très important, capable de transfigurer la condition humaine. Dans la religion chrétienne, on peut la définir comme l’union de l’âme avec Dieu. Le spécialiste de l’islam Louis Gardet la définit comme l’« expérience furtive d’un absolu ». C’est la saisie intérieure d’une réalité tout autre qui conduit à la transformation de soi. On peut dire que la mystique, c’est la possibilité d’entrer en relation avec Dieu, ou l’absolu, de l’expérimenter et de l’intégrer.

Jean de la Croix dit que l’expérience extraordinaire, n’est que l’étincelle de départ pour la vie intérieure. Et que quand la personne progresse dans la vie de foi, elle n’a plus besoin de ces expériences. A partir du moment où Marie de l’Incarnation arrive au Canada, elle cesse de parler d’expériences mystiques dans sa correspondance. On sent qu’une très forte union à Dieu a été façonnée par ses expériences mystiques, mais aussi par son grand désir de foi et de vie conforme au Seigneur. Elle veut donner sa vie à la suite du Christ. Ses expériences mystiques l’aident, comme un coup de pouce. Pour moi, la vie intérieure est comme un tulipier de Virginie, solide, qui pousse droit vers le ciel, avec de profondes racines, dont les feuilles à l’automne prennent de jolies teintes avant de tomber puis de repousser… Il fleurit, mais ses fleurs sont discrètes, elles ne sont pas le tout de l’arbre. La vie mystique, ce sont les fleurs. La force et la puissance de l’arbre, la vie intérieure, c’est l’arbre lui-même.

La conception du divin est très différente chez les chrétiens et chez les hindous. Cependant, on croit souvent que l’hindouisme, qui vénère de très nombreux dieux, est un polythéisme. En réalité, derrière toutes ces figures, les hindous croient en un Dieu un qui est le Brahmane, présent partout, le Créateur. Mâ Ananda Mayî a suivi plusieurs voies, mais les a toutes transcendées en une forme d’universalisme, en empruntant le chemin de la non-dualité, qui est une vision de Dieu un, permanent, en toute chose et partout. Le christianisme a la vision d’un Dieu un, mais qui s’incarne dans le Christ. Il y a dans le christianisme un surcroît d’incarnation, tandis que dans l’hindouisme, il s’agit plutôt de monter vers Dieu en se détachant, éventuellement par des vies successives, pour arriver jusqu’à l’union à Dieu.

 

Cheminer avec ou sans Dieu ?

Avoir une vie tranquille, c’est être un protéger de Dieu. C’est la présence divine qui fait que tu auras peu de problèmes.  À l’inverse, si tu souhaites une vie avec beaucoup de miracle.  Tu souhaites une vie où le risque est présent et au dernier moment, il est annulé par un élément exceptionnel.  Chaque fois que tu prendras un risque pour créer de l’exceptionnel, tu t’éloigneras de Dieu en voulant une preuve plus qu’en confiant ta confiance en lui. Donc chercher une vie plein d’exploit comme preuve de Dieu, c’est s’éloigner de lui. De fait aussi paradoxalement que ça soit, moins on croit plus un exige et veut des miracles. Car pour un croyant le miracle serra d’avoir une vie la plus normale et tranquille possible, là où pour un sceptique, le miracle sera l’exceptionnel qui pourra me faire me convertir.

Plus on cherche à provoquer plus on s’éloigne de Dieu, donc plus on se divise de lui. L’étymologie du  diable, c’est « celui qui divise » ou « qui désunit ». Et plus on cherche un exploit extérieur, plus on repose sa vie sur l’autre, sur l’extérieur. Donc plus on se laisse porter, sans volonté et moins on écoute son propre pouvoir, ses propres intentions. Cheminer avec Dieu pourrait donc être dans la présence en écoutant notre volonté qui est guidée par Dieu, si on lui laisse une place.

 comment savoir si on laisse une place pour Dieu ou pour la division ?

Et bien, dis-moi ton problème et de celui-là, je te dirais ta tentation qui peut nourrir ce problème. La tentation pourra être la voie de la division, de ce qui a créé ton problème, qui serra à observer avant de voir comment combler ce dit problème. La division en soi, est donc le premier point à éviter pour avancer sur sa propre voie. La complexité de la chose étant qu’il ne faut pas grand-chose pour diviser, là où il faut de l’énergie pour se rassembler. Une image pour illustrer cela : la plus belle montre de luxe à 120 000€ peut se bloquer à cause d’un tout petit grain de sable, enlevons le grain de sable pour retrouver la beauté et la puissance de la montre.

 

La vie mystique, c’est accéder à une sorte de plénitude, de paix, de sérénité ?

La spiritualité, est-ce la quête du bonheur ? Je pense que ceux qui prennent ce chemin aujourd’hui se rendent compte que la spiritualité, c’est d’abord un dépouillement de soi, une perte de ses repères – vous désapprenez ce que vous avez appris pour cheminer vers autre chose, Dieu, ou un absolu, ou un dépassement de soi –, et on se rend compte que le bonheur, ce n’est pas pour tout de suite. On peut imaginer tout de même qu’au bout d’un long chemin, on puisse accéder à des états de repos, de silence intérieur, où règne véritablement la paix, et donc à une forme de bonheur. Encore faudrait-il savoir comment définir le bonheur pour chacun.

 

Peut faire cette expérience sans se référer à Dieu ?

Dans une lettre célèbre à Freud, Romain Rolland parlait d’un «sentiment océanique», une impression d’être dans un monde mystérieux, qui nous dépasse, et que la science n’expliquera jamais totalement. Une vision que l’on retrouve aussi dans les écrits de Jung ou d’Assagioli. La crise mystique, selon moi, c’est la découverte brutale qu’il y a un autre en moi. Devant la beauté, nous faisons l’expérience qu’il existe un autre monde, plus vrai, plus authentique que ce monde-ci. C’est ce dont parle Platon, ou Baudelaire dans son fameux poème «La nature est un temple où de vivants piliers…» Cette expérience peut avoir un caractère traumatique et marquer durablement. Des exemples célèbres : Paul Claudel à Notre-Dame, ou André Frossart ont fait l’expérience tout à coup d’une révélation, d’une quatrième dimension, l’expérience d’un autre qui a changé leur vie. Ils ont vécu une conversion qui a été durable.