La Cigale, aventurière, se plaisait à voyager :
Elle parcourait les clairières, sifflant pour les étrangers.
Dans son âme généreuse, elle chérissait l’utopie
D’une société heureuse où régnerait l’harmonie.
Dans son esprit tolérant, elle caressait le désir
De découvrir par le chant la quintessence du plaisir.
Hélas ! Pour son grand malheur, elle passait pour désœuvrée
Et le regard de ses sœurs de reproches était chargé.
Insouciante, tout l’été, elle s’adonna à son art
Dans les forêts, dans les prés, allant au gré du hasard.
À chaque rencontre qu’elle fit, elle offrit sans rien attendre
Ses plus belles mélodies à qui voulait les entendre.
« Peu importe, se disait elle, ce que l’on pense de moi :
J’ai bon cœur, suis spirituelle, et j’apporte de la joie.
Qui pourrait être insensible à cette altruiste démarche ?
Cela me semble impossible, nous sommes liés à la même Arche ! »
Mais la Fourmi, pour sa part, ne l’entendait pas ainsi
Car chaque jour, la courageuse se réveillait aux aurores :
Travaillant dur jusqu’au soir, sans passions, sans rêves, flétrie,
Elle avait peur, cette anxieuse, elle s’inquiétait pour son sort.
C’est pourquoi elle amassait, depuis des mois, sans faillir,
Quantité de fort bon grain et de fraîche chair d’insectes
Que chez elle elle conservait pour les grands froids à venir
Jusqu’à ce qu’il fut certain que le tas était correct.
Jamais elle n’avait cédé à la procrastination.
Cependant, avec mépris, elle observait sa voisine
Qu’elle comparait, excédée, au grillon le vagabond,
Se méfiant de ces bandits qui pratiquaient la rapine.
« Il serait fort détestable que les fruits de mon labeur
Me soient soudain dérobés et que je meure de faim.
L’hiver sera redoutable, mais au chaud dans ma demeure
Je le laisserai passer, et pour moi, tout ira bien. »
Vent sifflant froid violent volant furtivement à travers champs si blancs
Cigale glacée cymbales gelées gorge givrée pitié vient demander
« Voudriez vous mon amie, partager en âme sœur
Ces doux mets que j’ai sentis, dont l’incroyable saveur
Remplirait mon ventre vide et réchaufferait mon corps :
L’environnement m’est sordide, il fait sombre et froid dehors.
Si vous consentez sans peur à me faire cet heureux don
Moi, je mettrai tout mon cœur à vous chanter des chansons
Qui égayeront ce soir votre foyer secourable,
Honoreront la mémoire de votre acte charitable
Et je vous fais le serment de vous rendre plus encore !
Pourrais je entrer à présent ? Me donnez vous votre accord ? »
La jouissance de la Fourmi atteignit son paroxysme :
Elle avait aussi prévu ce comportement idiot.
Elle ne fut pas attendrie, pétrie dans son égoïsme
Par la petite ingénue à la patte dans le tombeau.
« Je refuse de cautionner une telle désinvolture !
Que faisiez vous, fainéante, au moment de la récolte ?
Sachez que pour subsister, j’ai dû travailler très dur ;
Je vous trouve trop bruyante, votre culot me révolte,
Votre musique me dégoûte, je ne vous fais pas confiance.
Vous aimez chanter sans doute, vous apprécierez la danse. »
Puis elle referma sa porte, sans une once de remords,
Consciente des conséquences que cet acte impliquerait :
Car non seulement de la sorte, elle mit la Cigale à mort
Mais aussi ses connaissances, son art : son message de paix.
La Fourmi mangea fort bien, et s’ennuya tout l’hiver.
Elle ne mourut pas de faim, mais étouffée par un ver.
Si l’autre était encore là, elle eut pu lui faire cracher
Mais à cause de son trépas, elle ne pouvait plus l’aider.
Si l’oisiveté est un crime, l’avarice est un péché
Qui dans les plus grands abîmes de solitude peut nous plonger.
Gardons nous de ressembler à cette triste Fourmi
Car c’est dans la différence que se trouve notre pouvoir
La peur n’évite le danger, mais surtout elle a un prix :
Qui s’enlise dans la méfiance finit dans le désespoir.
Le partage est plus précieux que la protection des biens
Qui isole, rend malheureux, et asservit l’être humain.
Par : ACASHAR.