La confiance pour avancer…

Exister est un fait ; vivre est un choix.

Et ce choix, dans nos sociétés contemporaines, repose largement sur notre capacité à discerner à qui et à quoi nous accordons notre confiance.

 

 

Une époque méfiante : la disparition des figures de sagesse

Notre modernité a fragilisé la figure du sage, du maître, du passeur de sens. Les expériences de manipulation, les déceptions morales, les dérives d’autorité ont érodé la confiance que l’on accordait jadis à ces figures. De là est née une ambiguïté : nous dénonçons l’appauvrissement éthique de notre époque, tout en refusant de reconnaître que la sagesse ne se développe que dans des relations de transmission, d’écoute et de confiance. La société oscille désormais entre vigilance excessive et crédulité soudaine. Le discernement, cette capacité à articuler confiance et lucidité, s’est affaibli. Il est pourtant l’une des conditions centrales d’une existence équilibrée.

 

Le monde devenu objet : perte du sens et virtualisation de l’existence

La tendance à considérer le monde comme « une chose », et parfois comme une simple marchandise, illustre la distance croissante entre nos vies et les dimensions symboliques, sensibles ou spirituelles de l’existence. La progression technologique a apporté de nombreux bénéfices, mais elle a également contribué à réduire notre autonomie. Nous ne réparons plus les objets que nous utilisons, et souvent, même les professionnels peinent à les réparer. Cette perte de savoir-faire traduit une forme d’amputation culturelle. Il ne s’agit pas de rejeter la technologie, mais de reconnaître que son évolution accompagne une déconnexion progressive entre les êtres humains, leur environnement et le sens profond de leurs actions.

Une société de la connaissance fondée sur la confiance déléguée

Comme le souligne Gérald Bronner ou Ellul, plus une société produit de connaissances, moins chacun peut espérer en maîtriser l’ensemble. Nous vivons dans des systèmes fondés sur la délégation : délégation du savoir, de l’expertise, de la décision. Ainsi, paradoxalement, plus une société sait de choses, plus elle repose sur la confiance. Tocqueville l’avait déjà saisi : nul ne peut vérifier chaque fait, expertiser chaque domaine, maîtriser chaque savoir. La question n’est donc pas de croire ou de ne pas croire, mais de choisir intelligemment à qui et à quoi nous faisons confiance, et selon quelles modalités.

 

Réhabiliter le risque comme dimension constitutive de la vie

La société moderne a cherché à neutraliser le risque, le percevant comme une menace qu’il faudrait éliminer. D’autres cultures, au contraire, considèrent le risque comme une composante naturelle de l’existence, indissociable de la croissance, de l’expérience et de la transmission de la sagesse. En éliminant la prise de risque, nous avons aussi éliminé une part de l’apprentissage. Vivre implique l’incertitude ; vouloir la supprimer revient à se couper d’une dimension essentielle de l’autonomie et de la maturité. Réhabiliter une juste prise de risque est une manière de redonner confiance en la vie elle-même.

L’Autre : menace présumée ou partenaire potentiel ?

La culture occidentale contemporaine tend à percevoir l’autre d’abord comme un danger, puis éventuellement comme un allié. Cette suspicion initiale, héritée de logiques utilitaristes et sécuritaires, empêche la construction de liens authentiques. Pourtant, toute relation repose sur un minimum de confiance accordée a priori. Ce n’est qu’en donnant une chance à l’autre, avec discernement, sans naïveté, que la relation peut devenir un espace d’échange, de coopération et de réciprocité. Accorder sa confiance est un acte qui construit les conditions de son propre succès : il ouvre un espace où l’autre peut devenir digne de cette confiance.

 

Perception et croyance : la manière dont nos convictions structurent notre monde

Les approches phénoménologiques, la psychologie perceptive et certaines traditions spirituelles convergent : notre perception est fortement influencée par nos croyances et nos attentes. « On ne voit que ce que l’on croit » ne signifie pas que le réel est illusion, mais que nos cadres perceptifs orientent notre manière d’interpréter les situations. Si nous percevons la vie comme une lutte, nous organiserons notre existence autour de stratégies défensives.Si nous la percevons comme un espace de coopération, nous favoriserons l’entraide, la créativité et les liens. Ce choix perceptif influence profondément nos décisions, notre santé mentale et notre relation au monde.

Reconstruire la confiance comme compétence essentielle

La confiance n’est pas un geste naïf ni un abandon de vigilance. C’est une compétence, un savoir-faire relationnel et existentiel qui demande discernement, lucidité et responsabilité. Elle permet de dépasser la posture défensive qui domine nos sociétés pour réintroduire une dynamique de coopération et de sens. Réapprendre à faire confiance à soi, à l’autre, à la vie, constitue peut-être l’un des enjeux les plus importants de notre époque. C’est à ce prix que nous pourrons habiter l’avenir de manière plus sereine, plus autonome et plus consciente. Le reste dépend de nos choix, individuels et collectifs.