La force du vivant résulte de la robustesse et non de la performance

Dans un tract paru chez Gallimard, Antidote au culte de la performance, Olivier Hamant nous propose de nous inspirer de la ” robustesse du vivant “ pour appréhender l’ère de l’anthropocène dans laquelle nous sommes désormais.

 

Olivier Hamant est un chercheur français en biologie et biophysique. Il s’inspire de ses travaux pour prôner un modèle de société qui s’inspire du vivant, et dont les principes soient en conséquence guidés par la recherche de la robustesse plutôt que par celle de la performance. 

On connaît depuis longtemps la finitude des ressources terrestres et l’effet de la croissance sur l’environnement. Déjà en 1972, le rapport Meadows avertissait sur « les limites de la croissance » et « anticipait un événement de rupture socio-économique dans la première moitié du XXIe siècle ». Malgré les avertissements, peu ou pas de mesures ont été prises pour faire face à la menace.

Lorsqu’il s’agit de transition écologique, la majorité des solutions qui sont présentées sont basées sur la performance. L’utilisation de drones dans l’agriculture de précision afin de diminuer les pesticides, l’expansion des éoliennes, l’amélioration des panneaux solaires… Les rapports scientifiques (du GIEC, etc.) sont tous d’accord pour prédire que le XXIe siècle sera un siècle de turbulence et de fluctuation. En réalité, nous en sommes déjà : des feux de forêt, des inondations, des perturbations sociales, des crises géopolitiques, des pénuries de ressources… La première interrogation à se poser est donc de savoir comment vivre dans un monde qui évolue. Les organismes vivants vivent depuis des millions d’années dans un monde en constante évolution. Quelles sont les caractéristiques qui les permettent de vivre dans un tel contexte ? La réponse, c’est tout d’abord la robustesse. Devant l’incertitude des ressources et des conditions, c’est la coopération et la résistance qui sont prédominantes, plutôt que la performance. Selon Olivier Hamant, c’est le premier enseignement à acquérir du vivant. “Quand on s’intéresse au fonctionnement du vivant, on s’aperçoit que les êtres vivants sont construits sur de l’aléatoire, sur des hétérogénéités, sur des incohérences, sur des redondances… […] ils ajoutent des marges de manœuvre pour parer à l’imprévisible”. En d’autres termes, les êtres vivants ne consolident pas leurs atouts, mais se développent sur leurs faiblesses. Un bon exemple serait les plantes, dont le rendement de la photosynthèse est inférieur à 1% sont responsables de la perte de 99% de l’énergie solaire. Quel est le motif d’une « productivité » si faible ? Faire face aux changements de lumière, car une augmentation de leur rendement de photosynthèse risquerait de les bruler. Une comparaison botanique qui illustre la nature autodestructrice de l’homo oeconomicus.

 

 Performance contre robustesse

La performance correspond à l’équilibre entre l’efficacité et l’efficience. L’efficacité implique d’atteindre son but, tandis que l’efficience vise à le réaliser en utilisant le moins de ressources possible. Ainsi, lorsque l’on est efficace, on parvient à atteindre son objectif en utilisant le moins de ressources possible. C’est comme s’enfermer dans une voie étroite, c’est comme une canalisation. La performance, c’est la perception de la maîtrise totale. Par exemple, lorsque l’on se fixe un but de performance sportive, il est possible de s’épuiser au-delà du raisonnable, de se blesser, voire de se doper.

La robustesse consiste à préserver la stabilité du système en dépit des fluctuations, tant à court terme qu’à plus long terme. Cela nécessite la présence, d’une grande variété d’options. Il s’agit également de l’expérimentation sans objectif (la recherche et l’innovation non dirigée). La résistance est la seule réponse efficace face à un monde en constante évolution. L’adaptabilité est essentielle pour faire face aux variations, donc pour trouver des moyens de contourner les obstacles, explorer, expérimenter et varier. Cela va à l’encontre de la rigidité.

La solidité ne se réfère pas non plus à l’agilité, qui consiste à naviguer entre les dangers. Nous sommes tellement absorbés par la performance que nous avons du mal à faire la distinction. Il arrive parfois que l’on pense à choisir une solution performante (comme des panneaux solaires optimisés et performants), alors qu’on a fait preuve de robustesse en diversifiant les sources d’énergie, en ajoutant des moyens réparables par des collectifs locaux.

En d’autres termes, le monde de la solidité est l’opposé du monde de la performance. Dans le domaine de l’efficacité, on se concentre sur la réponse, tandis que dans le domaine de la résistance, on pose des questions. Dans le domaine de la performance, il est nécessaire d’avoir des individus très spécialisés, dotés de solidité, ainsi que des spécialistes généralistes et polyvalents. Il est important de varier les activités, car se focaliser sur une seule activité est excessivement risqué.

 

La santé commune en trois phases :

En collaboration avec nos collègues de l’institut Michel Serres, nous avons suggéré une approche appelée la santé commune. Elle fonctionne en trois phases.

La première approche est de poser des questions. Dans le domaine de la performance, il est courant de répondre rapidement à de mauvaises questions.  On se concentre rapidement sur le symptôme plutôt que sur la cause, alors que la question principale est principalement celle du monde en constante évolution. Afin de réexaminer la question, il est possible de la poser à des personnes qui ne sont pas liées au sujet. Est-ce qu’elle est utile? Il s’agit d’un test de résistance. Ceci facilite le déplacement de la question jusqu’à atteindre le cœur du sujet. Un processus difficile, peu efficace, mais qui assure que la question à aborder est la correcte.

La deuxième étape consiste à garantir que le projet contribue à trois aspects de la santé : la santé des environnements naturels, la santé sociale et la santé des individus. La santé des environnements naturels dépend de la santé sociale, tandis que la santé humaine dépend de la santé sociale.

Et l’étape finale, la plus simple, consiste en un test de stress du projet. Que se passe-t-il si, par exemple, le prix du pétrole augmente de 50 % l’année prochaine, ou si je perds les subventions publiques, ou si une catastrophe climatique survient ? Lorsque nous passons le test de stress, j’ai élaboré un modèle socio-économique solide. Si ça ne marche pas, c’est que la question a été mal formulée, il faut recommencer le processus. Ainsi, nous parvenons à élaborer des projets robustes.

 

La robustesse n’est pas la résilience

Le terme de résilience est devenu polysémique et mal compris. Selon les écologistes, cela signifie plus ou moins une solidité à long terme, avec l’idée de flexibilité qui peut être incluse dans la viabilité. Dans cette perspective, le lien entre performance et robustesse correspond parfaitement au lien entre efficacité et résilience. Selon les autres, la résilience se résume à la capacité à rebondir, ce qui signifie que dans un monde néo-libéral axé sur la performance, il est nécessaire de tomber pour se renforcer.

La résilience, en tant que concept psychologique appliqué au monde socio-économique, représente une autre forme de pression pour atteindre des performances néfastes. Devant ce constat, il est donc possible de conclure que pour être résilient et garantir que ce n’est pas fatal, il est essentiel d’être d’abord robuste.

 

Renouer avec la nature

Il s’agit d’un changement culturel. En simplifiant, lorsque les êtres humains ont créé l’agriculture il y a environ 10 000 ans, ils ont tenté de maîtriser la nature. À partir de là, se manifeste le dualisme nature-culture, qui consiste à dominer la nature comme l’affirme Christophe Bonneuil, historien des sciences à l’EHESS.

Ainsi, la nature a été domestiquée et les ressources végétales et animales que l’on peut en extraire ont été « améliorées ». Le paradoxe réside dans le fait que nos institutions sont actuellement endormies tandis que la nature se réveille réellement, comme on le constate lors des événements extrêmes. Il s’agit de sortir d’un système de recherche combinée du contrôle et de la performance, qui a été instauré au Néolithique. De nos jours, la surcharge de contrôle nous a fait perdre le contrôle. Il sera donc nécessaire d’apprendre à vivre dans un monde où nous avons perdu le contrôle. Il est déjà trop tard pour espérer maintenir la maîtrise de la nature, le monde va changer quoi qu’on fasse ; il oscille déjà énormément.

 

Comment aller vers la robustesse ?

Les nuées d’étourneaux offrent une magnifique illustration du vivant afin de rendre compte de la progression du changement. Ils se déplacent d’un coup à droite et d’un coup à gauche. Qui a le choix de tourner? Ce sont toujours les oiseaux qui se trouvent à la périphérie du groupe. Au centre de la nuée, les oiseaux ne perçoivent que leurs voisins, ils sont aveugles au monde, tandis que ceux qui se trouvent à la périphérie sont préoccupés par les variations extérieures. Une règle toute simple nous est enseignée : tout système évolue en fonction de ses marges, de sa périphérie. Ce qui concerne une nuée d’oiseaux, s’applique également aux systèmes biologiques et aux systèmes sociaux.

L’histoire a vu de nombreux empires s’effondrer en raison de quelque chose qui s’est produit à la marge. Si l’on souhaite saisir les signaux faibles du monde à venir, il est nécessaire d’observer ce qui se déroule à la périphérie. Ce que l’on observe, c’est la présence de petits paysans qui se consacrent à l’agroécologie, au tout réparable, à l’habitat participatif, des éléments qui vont dans le sens de la robustesse, qui proviennent de la périphérie et qui vont contaminer le centre et le faire évoluer. Cette contamination commence à se manifester. Lorsqu’on passe de la performance à la robustesse, tout est inversé, y compris le prix des objets, et c’est ainsi que l’on peut nourrir la justice sociale.

 

Pour aller plus loin : 

vous trouverez des ressources ici 👉 larobustesse.org