Dans un monde saturé d’informations et traversé par des dynamiques de pouvoir toujours plus subtiles, l’autorité et l’expertise n’émanent plus seulement de la compétence réelle ou d’une position institutionnelle établie. L’ère numérique, notamment, a vu émerger une nouvelle forme de pouvoir : l’autorité simulée, fondée non sur la légitimité ou la compétence, mais sur des signes extérieurs d’expertise. Ce phénomène soulève des enjeux cruciaux en matière de manipulation, de crédibilité et de pouvoir social.
L’autorité : une puissance symbolique
L’autorité a longtemps été étudiée dans sa dimension sociale et symbolique. Stanley Milgram, dans ses célèbres expériences sur l’obéissance, montre à quel point la simple posture d’un individu perçu comme autoritaire (blouse blanche, cadre scientifique) suffit à susciter la soumission, même face à des ordres contraires à la morale. Ce pouvoir repose sur des signaux externes, indépendants de la compétence réelle. Pierre Bourdieu, quant à lui, parle de violence symbolique pour désigner l’exercice d’un pouvoir invisible qui s’impose comme légitime sans avoir à se justifier. La posture d’expert, dès lors qu’elle est perçue comme telle, suffit souvent à imposer un discours sans débat. Ces travaux montrent que la perception d’autorité importe souvent plus que l’autorité elle-même.
L’expertise simulée : la persuasion sans compétence
Dans son ouvrage Influence: The Psychology of Persuasion, Robert Cialdini identifie l’autorité perçue comme l’un des six principes fondamentaux de persuasion. Il note que des signes tels que les titres, les vêtements professionnels, ou même le langage technique suffisent à créer une illusion d’expertise. Des études expérimentales récentes confirment que des individus peuvent obtenir un fort taux d’adhésion simplement en simulant la posture d’un spécialiste (Sundar et al. 2007). Cette simulation repose sur des heuristiques cognitives : face à des situations complexes, les individus cherchent à économiser de l’énergie mentale et s’en remettent à des figures supposées compétentes. Le langage pseudo-scientifique, la mise en scène de diplômes ou l’usage de graphiques peuvent dès lors suffire à convaincre, même en l’absence de fondement empirique.
Le numérique : un amplificateur de l’autorité fictive
Les réseaux sociaux et les plateformes en ligne ont démultiplié ces effets. Le capital symbolique s’y construit sur des critères fluctuants : nombre de vues, abonnés, collaborations perçues, ou encore qualité de présentation visuelle. Ce que Shoshana Zuboff appelle le capitalisme de surveillance favorise des logiques de captation de l’attention plus que de vérification épistémique. Des figures dites « expertes », obtiennent ainsi un pouvoir prescriptif sur des enjeux sanitaires, politiques ou éducatifs. Le phénomène des infodémies (OMS, 2020) pendant la pandémie de COVID-19 en est un exemple frappant : des individus sans compétence médicale ont influencé des milliers de personnes sur la base de leur autorité perçue.
Les risques éthiques et politiques
L’autorité simulée n’est pas sans conséquences : elle peut entraîner la désinformation, la radicalisation, voire la manipulation des comportements collectifs (Lewandowsky et al., 2020). Dans une société où l’expertise est constamment mise en doute ou détournée, le discernement devient un enjeu central de démocratie. Hannah Arendt rappelait déjà que la perte du critère de réalité, et donc de légitimité, était une condition propice à la montée des régimes autoritaires. Face à ces dérives, des dispositifs de vigilance critique sont nécessaires : éducation aux médias, transparence des sources, valorisation des savoirs institués sans les sacraliser.
Conclusion
L’autorité et l’expertise simulées s’avèrent être des leviers puissants d’influence sociale, particulièrement dans un contexte de surcharge informationnelle et de défiance à l’égard des institutions. Leur efficacité repose sur des mécanismes cognitifs profondément ancrés, mais aussi sur des dispositifs culturels et technologiques contemporains. Comprendre ces mécanismes est essentiel pour développer une résistance éclairée à la manipulation et pour réinventer une forme d’autorité fondée sur la responsabilité et le débat.
Sources :
- Milgram. Obedience to Authority.
- Bourdieu. Ce que parler veut dire
- Cialdini. Influence: The Psychology of Persuasion.
- Sundar. « Heuristic cues and credibility evaluation »
- Lewandowsky. « Misinformation and its correction
- Organisation Mondiale de la Santé. Managing the COVID-19 Infodemic.
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