Le sealioning est un terme issu d’un comic strip de 2014 publié par Wondermark, une série satirique créée par David Malki. Dans cette bande dessinée, un personnage critique de façon générale le comportement des phoques (seals), ce qui provoque l’apparition soudaine d’un otarie anthropomorphe (un sea lion) qui exige calmement des preuves, des explications et une justification continue. Bien que l’otarie adopte un ton poli, sa persistance devient rapidement épuisante et oppressive. Le sealioning est ainsi défini comme une tactique de harcèlement déguisée en débat rationnel. Cela consiste à demander à répétition des justifications à une personne, souvent sur un ton prétendument neutre ou courtois, mais de manière épuisante, insistante et décontextualisée, afin de la discréditer, de l’usurper ou de l’exaspérer publiquement.
Caractéristiques principales
Le sealioning présente plusieurs caractéristiques reconnaissables :
- Apparence de politesse feinte : l’interlocuteur adopte un ton civil et posé, même lorsqu’il harcèle.
- Demande incessante de “preuves” : souvent en ignorant les réponses données précédemment.
- Refus du contexte : la conversation est extraite de son cadre initial ou commence à un moment où la personne ciblée n’a pas invité à débattre.
- Déréalisation de l’expérience de l’autre : toute subjectivité est niée ou tournée en dérision.
- Effet d’épuisement : la cible est acculée à se défendre perpétuellement, sans jamais parvenir à “satisfaire” les demandes.
Une forme moderne de gaslighting ?
Le sealioning se rapproche de ce qu’on appelle le gaslighting : une forme de manipulation qui vise à déstabiliser une personne en la faisant douter de sa propre réalité. Toutefois, là où le gaslighting repose souvent sur des dénis explicites ou des mensonges, le sealioning joue sur une forme de harcèlement argumentatif où l’apparente rationalité masque une stratégie d’usure psychologique. Les effets du sealioning peuvent être délétères, en particulier pour les personnes engagées dans des débats publics sur des sujets sensibles : féminisme, antiracisme, écologie, ou LGBTQIA+. Ce harcèlement déguisé : Épuise mentalement et émotionnellement les personnes visées. Sabote la crédibilité de leurs discours en les poussant à la colère (ce qui est ensuite utilisé contre elles). Empêche les discussions constructives en imposant un faux débat. Renforce les dynamiques de domination et de marginalisation.
Le sealioning fonctionne parce qu’il exploite les normes de civilité et de débat rationnel valorisées dans les sociétés modernes. En feignant la neutralité et la curiosité intellectuelle, les harceleurs peuvent apparaître comme les victimes lorsque leurs cibles réagissent avec frustration ou colère. Cela crée une inversion perverse des rôles : l’agresseur se présente comme un simple interlocuteur “ouvert au dialogue”, tandis que la cible est accusée d’intolérance ou de fermeture d’esprit.
Une forme de violence relationnelle déguisée
Le sealioning s’apparente à une violence indirecte, où le harceleur utilise des codes de civilité pour invalider psychologiquement son interlocuteur. En refusant d’admettre le caractère intrusif de ses demandes et en prétendant à un débat rationnel, le sealioner déclenche un processus de culpabilisation chez la victime, qui se sent tenue de répondre pour « rester polie », tout en étant psychologiquement submergée. C’est une forme de double contrainte (Bateson, 1956) : toute réaction, répondre, ignorer ou refuser, semble problématique, piégeant l’individu dans une spirale d’impuissance.
Le sealioning joue sur plusieurs biais cognitifs : le biais de civilité : la plupart des individus ont été socialement conditionnés à répondre de manière respectueuse aux questions formulées poliment, même lorsque ces questions sont malveillantes. L’Effet de crédibilité perçue : un discours poli est perçu comme plus rationnel ou crédible, indépendamment de son contenu réel (voir Kahneman, Thinking, Fast and Slow, 2011). Et le biais de la charge de la preuve inversée : la cible est poussée à se justifier sans fin, pendant que l’assaillant évite toute remise en question de sa propre position.
Sur le plan clinique, le sealioning peut produire : du stress chronique : à cause de la tension constante générée par la nécessité de se défendre. Douter de soi : les réponses rationnelles n’étant jamais « suffisantes », la cible peut commencer à remettre en cause sa propre validité ou compétence intellectuelle. Une colère réprimée : qui, lorsqu’elle explose, est ensuite utilisée pour décrédibiliser la personne visée (cercle pervers du « tu vois, elle s’énerve »). Et un sentiment d’épuisement ou de saturation cognitive : particulièrement fréquent chez les personnes déjà exposées à des formes de surcharge mentale ou militantes sur des sujets émotionnellement chargés. Certains chercheurs rapprochent cette tactique du harcèlement moral (Hirigoyen, 1998), où l’insistance, la déstabilisation subtile et la manipulation du cadre de communication sont des outils majeurs de domination.
Le sealioner agit rarement dans une réelle quête de compréhension. Son comportement relève davantage d’un contrôle de l’espace discursif que d’une volonté de débat. Ce profil psychologique est souvent associé à : Un besoin de domination intellectuelle, parfois masqué sous un masque d’objectivité. Une déresponsabilisation émotionnelle : le sealioner refuse de reconnaître les affects ou les vécus de l’autre. Un usage stratégique du gaslighting argumentatif, pour manipuler la perception de l’échange. On peut y voir des traces de narcissisme défensif : le besoin de maintenir une supériorité intellectuelle face à des idées perçues comme menaçantes.
Reconnaître pour se protéger
L’analyse psychologique du sealioning montre qu’il s’agit bien plus que d’un simple désaccord ou d’une « discussion malheureuse ». C’est une stratégie subtilement manipulatoire, qui mine la santé mentale, les relations sociales et la liberté d’expression dans l’espace numérique. Le reconnaître comme tel, et nommer ce qui est à l’œuvre, est une première étape vers une défense psychologique et communautaire.
Soyez vigilant·e si vous êtes confronté·e à une personne qui : Demande des « preuves » ou des justifications de manière répétée, même après que vous ayez répondu. Ignore le contexte émotionnel ou militant de vos propos. S’immisce dans une discussion qui ne lui était pas adressée. Maintient un ton faussement poli pour vous faire passer pour agressif·ve si vous vous défendez. Semble vouloir gagner, non comprendre.
Stratégies psychologiques de défense
Affirmer vos limites : « Je ne suis pas disponible pour ce type de débat. » ou « Ce n’est pas une conversation constructive pour moi. » Vous avez le droit de ne pas répondre.
Nommer la stratégie : « Ce que tu fais est une forme de sealioning : un harcèlement déguisé. » En le nommant vous reprenez le pouvoir sur le cadre de la discussion.
Ne pas se laisser piéger dans la justification sans fin : Posez une contre-question ou refusez le terrain imposé : « Pourquoi devrais-je justifier cela pour la dixième fois ? » ou « Quelle est ton intention réelle dans cette conversation ? »
Prendre soin de votre santé mentale : Déconnectez-vous si vous ressentez de l’épuisement cognitif. Rappelez-vous : la mauvaise foi vous fatigue, pas vous. Partagez votre vécu avec des allié·es pour le mettre en perspective.