Le solarpunk ou la création de futurs désirables

Il peut être difficile dans une société capitaliste aussi hégémonique que la nôtre d’imaginer la possibilité d’un autre futur. Depuis les années 2000, on a pu assister à l’émergence de nombreuses œuvres présentant un futur ravagé par la guerre, le totalitarisme, le développement d’une technologie meurtrière, des virus tueurs, des zombies, des effondrements environnementaux… Naturellement, ces histoires sont nécessaires : au mieux, elles permettent même une prise de conscience chez ceux qui pensent que tout va bien dans le meilleur des mondes. Seulement si on y regarde de plus prêt : Ready Player One, Blade Runner, Matrix, Ghost in the Shell… si l’on oublie les space opéras à la Star Wars (ou Science fantasy pour les plus pointilleux) on pourrait croire qu’au cinéma la science-fiction s’est arrêtée à l’étage du Cyberpunk. Ce sous-genre de la SF dépeint le monde comme dévasté par l’industrie, les multinationales, la drogue et la technologie, peuplé d’hommes augmentés, de robots, de hackers, bardé de néons fluo. Le problème, c’est que si ces œuvres sont les seules visions d’un futur potentiel à être proposées, elles ne feront que nous plonger dans le désespoir et le cynisme menant à croire que toutes les crises sont insurmontables. Le mouvement cyberpunk qui, à travers des dystopies grossissant le trait d’un capitalisme décomplexé des années 1980, voulait avertir de ses méfaits. Mais au lieu d’empêcher ce futur catastrophique d’advenir, son esthétique et ses idées ont été assimilées puis régurgitées par le système. Il aura rendu plus inévitable que jamais le présent qu’il voulait prévenir. Notre destin semble tout tracé par ces mythes fondateurs qui ont inspiré les grands pontes de la société technologique, développeurs et ingénieurs de la Silicon Valley en tête de liste.

Le solarpunk est un mouvement qui se construit donc en réaction à cet échec depuis les années 2000. C’est un mouvement artistique utopique qui cherche à représenter des sociétés égalitaires, décentralisées et écologiques. Si le côté Solar appuie un imaginaire basé sur le développement d’une civilisation capable de répondre aux enjeux écologiques, le côté punk en décrit la subversion.

C’est un mouvement qui encourage les visions optimistes du futur, basées sur les problèmes environnementaux actuels, comme le changement climatique ou la pollution, ou encore l’inégalité sociale. A l’opposé d’un No future, acceptant la fatalité d’un système sans issue, il propose un futur enviable sur la base de concepts déjà existants. Ces concepts proviennent d’une variété de penseurs, d’artistes, d’ingénieurs et de divers autres courants. Plus qu’un syncrétisme, il s’agit d’un œcuménisme d’innovation anti-autoritaire et post-capitaliste. On y retrouve pêle-mêle l’influence de la science-fiction féministe des années 1970, l’animation d’Hayao Miyazaki, l’afrofuturisme, le municipalisme de Bookchin, le courant Arts&Crafts… . On le retrouve donc présent dans de nombreux médias : littérature, art, architecture, mode, musique, jeux…

Le Solarpunk est politique : 

Quel que soit le solarpunk, il est profondément politique. Presque chaque élément de contenu solarpunk que j’ai vu ou lu suggère que l’avenir du solarpunk est le résultat de choix nuancés sur de tels arrangements, et non de progrès technologiques sauvages. Le nom même de «solarpunk» implique que les percées scientifiques à elles seules ne résoudront pas nos problèmes environnementaux, sociaux et économiques. Après tout, il postule un monde d’abondance d’énergie solaire et soutient ensuite que nous aurons toujours besoin de punks. Aucune solution technique magique pour nous. Nous devrons le faire à la dure: avec la politique. Un mouvement provoque le changement par des itérations de stratégie et d’action.

Les villes cristallisent également les facteurs de stress sociaux que la modernité nous impose. L’esthétique Solarpunk cherche à dissiper ce vice avec des visuels et des textures apaisants qui impliquent l’ouverture et rendent hommage au monde vivant. Les punks sont une force essentiellement contre-culturelle, rejetant et attaquant la norme. Nous connaissons le piratage de l’eau, le jardinage de guérilla et les graffitis au nettoyeur haute pression. Solarpunk peut voir les endroits où les arbres ont percé l’asphalte pour ce qu’ils sont: d’excellents endroits pour faire pousser des arbres. Imaginez un arbre poussant au milieu de gravats, s’enracinant autour des roches dans des espaces ouverts, poussant parfois des fissures plus larges. L’arbre ne peut pas enlever le béton, mais le béton est trop mal entretenu pour l’arrêter. De la même manière, je pense que le solarpunk devrait travailler pour réinventer la civilisation de l’intérieur. Grâce à des associations locales libres et à des réseaux mondiaux, le solarpunk peut créer des poches connectées de dynamisme et de résistance au milieu d’un monde plus vaste de déclin et d’oppression. Le Solarpunk devrait bouger tranquillement et planter des choses. Ne demandez pas la permission à un État redevable aux oligarques et ne vous attendez certainement pas à ce que ces oligarques fassent cela pour vous. Le jardinage de guérilla est le modèle, mais regardez plus loin. Installation de panneaux solaires Guerilla. Restauration de l’installation de traitement des eaux de Guérilla. Guérilla magnifique temple à la construction de l’esprit humain. Création d’une mégastructure de séquestration du carbone par la guérilla.

Un Manifeste Solarpunk

Ce Manifeste Solarpunk est une réadaptation créative des idées écrites par de nombreuses personnes sur le Solarpunk. Ces idées peuvent être principalement retrouvées dans Solarpunk: a reference guide lisible ici et dans Solarpunk: Notes towards a Manifesto par Adam Flynn, qui peut être lu ici.

 

Le Solarpunk est un mouvement qui englobe fiction spéculative, art, mode et activisme. Il cherche à répondre et à incarner la question “à quoi ressemble une civilisation durable et comment peut-on y parvenir ?”

Les esthétiques du Solarpunk mêlent le pratique à l’esthétique, le bien conçu au vert et luxuriant, le brillant et coloré au terreux et solide.

Le Solarpunk peut être utopique, simplement optimiste ou même s’intéresser aux luttes vers un monde meilleur, mais jamais être dystopique. Alors que notre monde devient de plus en plus tumultueux, nous avons besoin de solutions, pas de simples avertissements.

Des solutions pour prospérer sans combustibles fossiles, pour gérer équitablement la véritable pénurie et partager l’abondance au lieu d’alimenter une fausse pénurie et une fausse abondance. Être bons les uns avec les autres et avec la planète que nous partageons.

Le Solarpunk est à la fois une vision du futur, une provocation réfléchie, une manière de vivre et un ensemble de propositions pour y parvenir.

  1. Nous sommes solarpunks parce que l’optimisme nous a été volé et que nous cherchons à le récupérer.
  2. Nous sommes solarpunks parce que les seules autres options sont le déni et le désespoir.
  3. L’essence du Solarpunk est une vision de l’avenir qui incarne le meilleur de ce que l’humanité peut accomplir : un monde post-pénurie, post-hiérarchie, post-capitalisme où l’humanité se considère comme une partie de la nature et où les énergies propres remplacent les combustibles fossiles.
  4. Le “punk” de Solarpunk désigne la rébellion, la contre-culture, le post-capitalisme, le décolonialisme et l’enthousiasme. Il s’agit d’aller dans une autre direction que la conventionnelle, qui est de plus en plus alarmante.
  5. Le Solarpunk est un mouvement autant qu’un genre : il s’agit non seulement des histoires, mais aussi de la manière de les rendre réelles.
  6. Le Solarpunk embrasse diverses tactiques : il n’y a pas une manière unique d’être solarpunk. À la place, diverses communautés de par le monde en ont adopté le nom et les idées et ont bâti des petites niches de révolutions autonomes.
  7. Le Solarpunk fournit une nouvelle perspective précieuse, un paradigme et un vocabulaire avec lesquels nous pouvons décrire un futur possible. Au lieu d’embrasser le rétrofuturisme, le Solarpunk se tourne entièrement vers l’avenir. Pas un futur alternatif, mais un futur possible.
  8. Notre futurisme n’est pas nihiliste comme le Cyberpunk et évite les tendances potentiellement quasi-réactionnaires du Steampunk : il traite d’ingéniosité, de générativité, d’indépendance et de communauté.
  9. Le Solarpunk met l’accent sur la durabilité environnementale et la justice sociale.
  10. Le Solarpunk cherche à trouver des façons de rendre la vie plus belle pour nous maintenant, mais aussi pour les générations qui vont nous succéder.
  11. Notre avenir suppose la réutilisation de ce que nous possédons déjà et, si nécessaire, sa transformation pour lui donner une autre utilisation. Imaginez-les “villes intelligentes” être abandonnées à la faveur d’une citoyenneté intelligente.
  12. Le Solarpunk reconnait l’influence historique que la politique et la science-fiction ont eu l’une sur l’autre.
  13. Le Solarpunk reconnait la science-fiction non seulement comme un divertissement, mais aussi comme une forme d’activisme.
  14. Le Solarpunk veut contrer les scénarios d’une terre mourante, d’un insurmontable fossé entre riches et pauvres, et d’une société contrôlée par les corporations. Pas dans des centaines d’années, mais maintenant.
  15. Le Solarpunk c’est la culture maker de la jeunesse, c’est des réseaux et solutions énergétiques locaux, c’est des façons de créer des systèmes autonomes qui fonctionnent. C’est un amour du monde.
  16. La culture Solarpunk inclut toutes les cultures, religions, aptitudes, sexes, genres et identités sexuelles.
  17. Le Solarpunk est l’idée d’une humanité qui atteindrait une évolution sociale qui n’embrasserait pas seulement une simple tolérance, mais également une compassion et une acceptation plus complètes.
  18. Les esthétiques visuelles du Solarpunk sont ouvertes et évolutives. En l’état, c’est un mashup de :
    1. L’âge de la voile et le mythe de la Frontière des années 1800 (mais avec plus de bicyclettes)
    2. La réutilisation créative d’infrastructures existantes (parfois post-apocalyptiques, parfois contemporaines-étranges)
    3. Une technologie appropriée
    4. L’Art Nouveau
    5. Hayao Miyazaki
    6. Des innovations dans le style Jugaad provenant du monde non-Occidental
    7. Des back-ends des techniques de pointe avec de simples résultats élégants
  19. Le Solarpunk se passe dans un futur bâti en suivant les principes du nouvel urbanisme ou du nouveau piétonnisme ainsi que de la durabilité environnementale.
  20. Le Solarpunk conçoit un environnement construit adapté de manière créative pour tirer parti de l’énergie solaire en utilisant, entre autres, différentes technologies. L’objectif est de promouvoir l’autosuffisance et la vie dans les limites naturelles.
  21. Dans le Solarpunk, nous avons réussi à faire machine arrière juste à temps pour arrêter la lente destruction de notre planète. Nous avons appris à utiliser la science avec sagesse, pour l’amélioration de notre condition de vie en tant que partie de notre planète. Nous ne sommes plus des chef•fe•s suprêmes. Nous sommes des soigneur•se•s. Nous sommes des jardinier•ère•s.
  22. Le Solarpunk :
    1. est diversifié
    2. a de la place pour que spiritualité et science puissent coexister
    3. est beau
    4. peut arriver. Maintenant.

 

Quand j’observe la création de l’imaginaire solarpunk, je vois un défi constant aux tentatives politique et idéologique contemporaine d’étouffer l’imagination politique. Plus que des croquis et des photos de villes utopiques, je vois le solarpunk inspirer les gens à remettre en question les arrangements de la vie moderne et, surtout, à proposer des alternatives. Une grande partie de cela prend la forme de la «construction du monde» de la science-fiction, ce qui explique en partie pourquoi j’aime tant le solarpunk: pour moi, la science-fiction a toujours été la meilleure voie pour élargir la conscience politique.

 

À lire en complément : 

qu’est ce que le solarpunk selon connor owens

architecture Solarpunk :  Aeroscape, Lino Zeddies

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