Roland Gori : une pensée critique du néolibéralisme et de la subjectivité

Roland Gori, psychanalyste et professeur émérite de psychopathologie clinique à l’université d’Aix-Marseille, est l’un des intellectuels français les plus engagés dans la critique du néolibéralisme et de ses effets sur la subjectivité, les institutions et la culture. Son œuvre articule une réflexion psychanalytique à une critique sociale et politique, dans une perspective humaniste et éthique.

Depuis le tournant du XXIe siècle, Roland Gori développe une œuvre intellectuelle dense, à la croisée de la psychanalyse, de la philosophie et de la critique sociale. Son engagement théorique et militant contre la « servitude volontaire » imposée par les logiques néolibérales en fait une figure majeure du débat public en France. Il est notamment cofondateur de l’Appel des appels (2008), un mouvement rassemblant des professionnels de divers champs (éducation, santé, justice, culture) opposés à la destruction des services publics et des pratiques fondées sur la relation.

Le néolibéralisme comme mode de subjectivation

Au cœur de la pensée de Gori se trouve une analyse du néolibéralisme non seulement comme système économique, mais comme régime de subjectivation. Dans La fabrique des imposteurs (2013) et La dignité de penser (2011), il montre comment l’individu contemporain est sommé de se conformer à des normes de performance, d’efficacité, et de rentabilité, imposées par le discours gestionnaire. Ce nouveau modèle anthropologique produit un « sujet managérial » qui internalise les valeurs du marché au détriment du désir, de la créativité et de la conflictualité psychique.

Le néolibéralisme selon Gori est un discours totalisant, qui colonise l’ensemble des sphères de la vie humaine : l’éducation, la santé, la culture, la justice. Il impose des instruments de mesure, d’évaluation et de contrôle qui transforment les pratiques professionnelles en procédures standardisées, déconnectées de leur sens humain et symbolique.

La destruction du symbolique et la crise du lien social

Gori s’inscrit dans une tradition psychanalytique et herméneutique qui accorde une place centrale au langage, au récit, et au symbolique. Il alerte sur l’appauvrissement du langage et la disparition des médiations symboliques dans les sociétés contemporaines, remplacées par des discours techniques et des protocoles. Dans Un monde sans esprit (2010), il dénonce la montée d’un rationalisme technocratique qui nie l’épaisseur subjective des existences humaines.

Le symptôme de cette crise symbolique est la montée des pathologies du vide : dépression, anxiété, burn-out, addictions. Le sujet n’est plus soutenu par des récits collectifs ni par une culture du sens, mais abandonné à lui-même dans un monde dominé par la logique comptable et la compétition généralisée. L’individu devient à la fois juge et victime de lui-même, sommé de réussir et coupable de son échec.

La défense de l’humain : psychanalyse, culture et résistance

Face à cette logique déshumanisante, Gori défend une éthique de la singularité et de la relation. Il plaide pour la reconnaissance de l’humain comme être de parole, de désir, et de conflictualité, contre les injonctions à la normalisation. La psychanalyse, dans cette perspective, n’est pas un simple outil thérapeutique mais une pratique de résistance, qui réintroduit le sujet dans un monde qui tend à le réduire à une fonction ou à un chiffre.

Son œuvre s’inscrit dans un humanisme critique, nourri aussi bien par Freud que par Foucault, Derrida ou Hannah Arendt. Elle revendique la nécessité de préserver des espaces de pensée, de création et de débat, où l’on peut encore faire vivre le conflit, le doute, la parole libre. En cela, Gori milite pour une réhabilitation de la culture comme espace symbolique fondamental pour l’émancipation.

Conclusion

Roland Gori incarne une pensée vigoureuse et lucide face aux dérives technocratiques de nos sociétés. Sa critique du néolibéralisme ne se limite pas au champ économique, mais touche à ce qu’il appelle une « anthropologie du capitalisme contemporain ». À travers ses écrits et ses engagements, il appelle à réinventer une culture de la parole, du soin et de la solidarité, pour résister à l’effacement du sujet et à la désertification symbolique du monde.

sources

  • Gori, R. (2010). Un monde sans esprit. La fabrique des terrorismes. Les Liens qui Libèrent.
  • Gori, R. (2011). La dignité de penser. Les Liens qui Libèrent.
  • Gori, R. (2013). La fabrique des imposteurs. Les Liens qui Libèrent.
  • Gori, R., & Del Volgo, M.-J. (2008). Exilés de l’intime. La médecine et la psychiatrie au service du nouvel ordre économique. Denoël.
  • Gori, R., & Collectif. (2009). Appel des appels. Contre la destruction volontaire des savoirs et des métiers. Mille et une nuits.