Comme le disait en son temps Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. » De nos jours, les problèmes écologiques, civilisationnels, structuraux, sont la manifestation d’une “psychopathologie” collective cachée dans la normalité. Comme le souligne si justement Jean-Philippe Pierron, Notre rapport au monde est une sorte de réquisition du monde, qui vaut aussi bien pour la nature, que pour les relations sociales, voire pour soi-même. Il prend la forme d’un modèle gestionnaire appliqué à toutes les dimensions du monde vécu : gérer ses biens, son portefeuille d’amis, gérer ses calories, sa sexualité, ses émotions, la biodiversité ; voir gérer ses états d’âme, ce qu’un certain usage de l’économie du bien être et du coaching de l’intimité encourage. Car on peut aussi manager sa vie intime à la façon dont on manage son entreprise. Une forme de marchandisation de l’intime s’insinue en nous, qui le rend disponible à toute formes de manipulation, d’instrumentalisation, ou tout simplement d’exploitation. C’est pourquoi l’écospiritualité n’est pas cette culture narcissique de soi, visant à se protéger, dans un cocon passager, d’un monde extérieur agressif. Elle travaille nécessairement à discuter et contester les conditions économiques, organisationnelles et politiques qui encouragent cette agressivité qui épuise tout : épuisement des ressources naturelles comme des ressources psychiques.
Cette situation est le fruit d’un déracinement qui s’est produit à travers l’évolution des sociétés. Ce processus historique, civilisationnel, a généré une conception désenchantée de la nature et de l’être humain dont nous héritons. Dans cette dynamique, Arturo Escobar parle d’une évolution construite sur la séparation entre nature et culture qui est à la base de l’ontologie moderniste – occidentale, qui s’est imposé dans le monde entier par la coercition ou l’hégémonie culturelle. Cette pensée dualiste nous empêche de nous concevoir comme faisant partie du monde, nous incitant plutôt à nous vivre dans un rapport d’extériorité instrumentale à ce qui nous entoure. Il devient donc indispensable de repenser en profondeur la place des Terrestres (selon Bruno Latour), de la métaphysique, de ce qui fait lien entre soi et le vivant en occident à notre époque.
Ajoutons à cela un des drames politique actuel, qui vient du fait que l’humain surestime souvent ce qu’il peut faire à court terme et sous estime ce qu’il peut faire à long terme. Le tout dans une culture postmoderne qui amène une forme d’anomie. Le concept, considéré comme « sans norme », survient pendant et suit des périodes de changements radicaux et rapides des structures sociales, économiques ou politiques de la société. Il s’agit, d’une phase de transition dans laquelle les valeurs et les normes communes à une période ne sont plus valables, mais de nouvelles n’ont pas encore évolué pour prendre leur place. Cela conduit au sentiment que l’on n’appartient pas et n’est pas véritablement connecté aux autres. Ces dynamiques poussent à un nihilisme qui bloque toute action et vision d’un avenir positif.
Apprenons en tant que méditant militant à maintenir la tension entre le sens, la révolte et celui de la beauté sans chercher à réduire l’un à l’autre. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il faut être lucide sur la condition humaine pour avoir la foi en celle-ci. Il faut s’être rendu compte du drame qu’elle traverse au point de se décider à agir. D’où la profondeur de l’émerveillement. Il y a derrière son apparente simplicité une science immense : la science de l’art du vivant.