L’analyse du discours, en tant que discipline croisant linguistique, philosophie et sciences sociales, se doit d’opérer des distinctions fines pour interpréter les stratégies utilisées. Parmi ces distinctions fondamentales figure celle entre sophisme et figure de style. Leur confusion peut entraîner des erreurs graves, créant de profond hors sujet et donc faussant complètement l’analyse.
Définition et distinction conceptuelle
Sophisme
Le sophisme est classiquement défini comme un raisonnement faux en apparence logique, utilisé dans l’intention (ou non) de tromper l’auditoire. Il fonctionne sur des biais cognitifs ou des erreurs de raisonnement, telles que les généralisations hâtives, les fausses causalités ou les attaques ad hominem. Le sophisme est d’abord une défaillance argumentative.
Figure de style
La figure de style, au contraire, est un procédé rhétorique visant à embellir, intensifier ou moduler le discours. Métaphore, métonymie, hyperbole ou litote, les figures de style travaillent sur la forme du langage pour produire un effet esthétique, émotionnel ou symbolique, sans pour autant nécessairement altérer la validité logique du propos.
Le critère fondamental pour distinguer sophisme et figure de style repose sur la visée logique versus esthétique (le fond face à la forme). Alors que le sophisme est un vice de raisonnement (le fond), la figure de style est un moyen d’expression (la forme). Leur confusion revient à amalgamer des registres différents — celui de la véracité rationnelle et celui de l’esthétique.
Les dangers d’une confusion en analyse du discours
Attribuer à une figure de style une intention sophistique revient à prêter au locuteur une volonté de manipulation ou de fausseté qui n’est pas fondée. À l’inverse, interpréter un sophisme comme une simple figure rhétorique pourrait conduire à minimiser une stratégie fallacieuse, biaisant ainsi toute analyse critique du discours.
Confondre ces deux notions, c’est risquer d’induire une lecture faussée du texte, fondée non sur les stratégies effectives du locuteur, mais sur une projection interprétative. Cela rejoint les critiques que Paul Ricoeur formule à l’encontre d’une herméneutique de la suspicion non maîtrisée : mal interpréter la visée d’un énoncé conduit à travestir son sens profond.
Dans une approche méthodologique stricte, l’analyse du discours repose sur la capacité à décrire précisément les phénomènes langagiers. Confondre sophisme et figure de style brouille la description objective, en introduisant une confusion entre niveaux d’analyse (logique, rhétorique, stylistique).
Enfin, l’assignation erronée d’une intention sophistique peut discréditer indûment un auteur ou un groupe social. Elle participe alors d’une violence interprétative, particulièrement problématique dans les contextes politiques ou judiciaires. L’analyste du discours porte ici une lourde responsabilité.
Exemples illustratifs
Extrait de discours | Interprétation correcte | Conséquence d’une confusion |
« Nous avons tous grandi sous le même ciel » (métaphore) | Figure de style visant l’universalité émotionnelle | Interprété comme un appel illogique à l’émotion (sophisme pathétique) |
« Si nous augmentons les salaires, alors l’économie s’effondrera » | Raisonnement possiblement sophistique (faux dilemme) | Pris pour une simple exagération rhétorique (hyperbole) |
Par exemple, Clément Viktorovitch, expert en rhétorique, ne se limite pas à signaler les arguments fallacieux. En dépit des caricatures qu’on pourrait dresser de lui, il prend le temps de les expliciter et de les replacer dans leur contexte. La précision conceptuelle est un impératif en analyse du discours. Sophisme et figure de style, bien que parfois proches dans leurs effets pragmatiques, relèvent de logiques différentes. Leur confusion fragilise l’analyse, compromet la portée critique du travail interprétatif, et nuit à l’éthique du chercheur. Il est donc fondamental de maintenir cette distinction avec rigueur, en mobilisant des outils théoriques appropriés pour chaque type de phénomène discursif.
Références
- Angenot, Dialogues de sourds : Traité de rhétorique antilogique.
- Ricoeur, Du texte à l’action.
- Viktorovitch, Le pouvoir rhétorique