Le conteur Henri Gougaud : une parole pour l’âme

Henri Gougaud, conteur, poète, romancier et parolier, est une figure singulière de la littérature contemporaine française. Héritier des traditions orales et compagnon des grandes figures spirituelles de son temps, il a fait du conte un art de vivre et un outil de transmission de sagesse. Loin de se cantonner à l’imaginaire, sa parole tisse un lien entre mémoire populaire, spiritualité vivante et quête intérieure. À travers ses récits et ses réflexions, Henri Gougaud propose une sagesse enracinée, subversive et douce, qui touche à l’essentiel.

 

 

 

Une rencontre fondatrice

Derrière la vision d’Henri Gougaud se tient une rencontre décisive : celle avec Luis Ansa, mystique d’origine argentine, fondateur de la voie du Sentir. Cette relation intime, discrètement présente dans les écrits de Gougaud, a profondément influencé sa manière de concevoir la vie, la sagesse et la spiritualité. Henri Gougaud a rencontré Luis Ansa dans les années 1980. Dans L’homme à la vie inexplicable, il lui consacre un livre entier, récit intime et admiratif de cette rencontre. Gougaud y décrit Ansa comme un être de feu et de silence, un homme libre, énigmatique, dont la présence suffisait à provoquer un bouleversement intérieur. Pour Gougaud, cette rencontre a agi comme un retournement. Lui, le conteur attaché aux mythes, a découvert un homme qui le conduisait au-delà des mots, au-delà même des histoires. Il dira que c’est Ansa qui lui a enseigné à « sentir l’instant », à percevoir l’invisible sans le nommer, à faire confiance à l’intuition profonde du corps. Il s’agit d’une sagesse non narrative, purement vécue.

 

L’apport spirituel : du conte à la présence

Sous l’influence d’Ansa, l’œuvre de Gougaud s’imprègne d’une spiritualité incarnée, non théorique. Le conteur se fait passeur d’expérience, plus que de récit. Dans Les sept plumes de l’aigle, roman initiatique écrit après cette rencontre, on sent l’empreinte d’un savoir vécu : il y est question de chamanisme, de visions, de silence intérieur, de confiance dans l’inconnu. L’enseignement invite à sortir du mental, à cesser de chercher et à entrer dans l’écoute du sentir, dans une forme d’abandon actif à la vie. Ce tournant affecte profondément la manière dont Gougaud envisage la sagesse : elle n’est plus seulement dans les récits anciens, mais dans l’instant présent, dans le silence entre les mots, dans la vibration de l’être. Il dira souvent : « Celui qui cherche est encore endormi. Celui qui sent est déjà en marche. » C’est un art de vivre libre, radicalement responsable, ancré dans le mystère. Il rappelait que personne ne peut vivre à la place d’un autre, que chaque être humain porte en lui une lumière à réveiller. Gougaud porte une sagesse accessible, fraternelle, poétique. Il cesse de chercher des vérités absolues et commence à cultiver le mystère comme présence vivante. Il ne prêche pas : il rayonne une confiance paisible dans la vie.

Henri Gougaud a souvent dit que les contes populaires sont des graines de résistance, transmises de bouche à oreille à travers les siècles. Derrière leurs images naïves, ils disent des vérités puissantes : que le petit peut vaincre le puissant, que la ruse peut triompher de la force, que l’amour est plus fort que la mort. Ces récits ne sont pas là pour endormir, mais pour réveiller le cœur. Ils rappellent que la vie ne se réduit pas à l’utile, que le merveilleux est encore possible. En les transmettant, Gougaud résistait à l’oubli, à la déshumanisation, à l’indifférence.

(un article sur La sagesse des contes )

 

Un héritier des traditions spirituelles

Henri Gougaud n’a jamais revendiqué d’appartenance religieuse exclusive. Il se tenait au croisement des traditions, en quête de ce qui unit plutôt que de ce qui divise. Chez lui, on entend l’écho du christianisme mystique, du soufisme, du chamanisme, du bouddhisme zen, il fut d’ailleurs proche de Lanza del Vasto, disciple de Gandhi. Mais toujours dans une approche intérieure, libre, sensible. Il se méfiait des clergés, des règles rigides, des vérités imposées. Pour lui, la vraie spiritualité est expérience, non croyance ; présence, non système ; feu du cœur, non morale sèche. Il disait : « Il y a des vérités qui ne s’apprennent pas, elles se reconnaissent. » C’est cette reconnaissance du vivant qu’il cherchait à éveiller, par la parole, le silence, et l’amour. La parole de Gougaud résonne avec celle des mystiques de tous temps. Comme François d’Assise, il parle aux oiseaux et aux humbles. Comme les derviches soufis, il chante l’amour comme voie d’union avec le tout. Comme Maître Eckhart ou Simone Weil, il cherche à creuser en soi un espace vide pour que s’y déploie la présence. 

Henri Gougaud se tenait à la jonction entre les récits du passé et les urgences du présent. Il n’était pas un nostalgique. Il ne cherchait pas à faire revivre les traditions anciennes comme des reliques, mais à en capter le souffle, pour aider les femmes et les hommes d’aujourd’hui à retrouver un chemin vers eux-mêmes. Il avait cette intuition puissante : les traditions spirituelles ne meurent pas, elles changent de forme. Elles attendent qu’on les écoute autrement. L’œuvre d’Henri Gougaud est un chant d’amour au mystère, une invitation à vivre avec plus de profondeur, de légèreté et de feu. Il nous laisse un héritage précieux : celui d’une spiritualité populaire, accessible, charnelle, joyeuse. Une sagesse sans doctrine, mais avec une exigence : celle de redevenir vivant. Pour lui, être un héritier des traditions spirituelles, ce n’est pas répéter, mais réinventer, à chaque génération, les chemins vers l’âme. C’est être fidèle à l’essentiel, non à la forme. 

 

Une sagesse de l’amour et de la liberté

Henri Gougaud n’était pas un philosophe de système. Son enseignement est celui du conteur, de l’homme du peuple, du voyageur de l’âme. Il aimait les histoires parce qu’elles disent, sans dogme, ce que les sagesses ont de plus essentiel. La sagesse selon Gougaud est ancrée dans le vivant, dans la chair du monde. Dans les récits de Gougaud, l’amour n’est jamais mièvre ni possessif. Il est une force de transformation, une énergie qui dépasse l’individu et le relie à plus vaste que lui. Aimer, c’est se décentrer, accueillir, s’ouvrir. Dans son livre L’homme à la vie inexplicable, il écrit : « L’amour vrai ne cherche pas à prendre. Il regarde l’autre comme un mystère. Il s’agenouille devant ce mystère. » L’amour chez Gougaud est aussi épreuve de liberté. Il invite à ne pas confondre attachement et lien vivant. Ce n’est pas l’amour qui enferme, mais la peur de perdre. À travers l’amour, l’homme découvre sa capacité à être avec sans posséder, à donner sans attendre.

La grande force de la sagesse de Gougaud, c’est sa chaleur humaine. Il n’enseigne pas à se détacher du monde, mais à y plonger plus intensément. Il n’y a pas de voie à suivre, pas de vérité à croire, seulement un feu à entretenir : celui du cœur, de l’amour, de l’élan vital. Cette sagesse est proche de celle des anciens troubadours, qu’il admirait : des hommes libres, chantant l’amour courtois non comme un jeu galant, mais comme une expérience mystique de l’altérité. Chez Gougaud aussi, l’amour vrai rend libre, et la liberté vraie conduit à aimer.

Sans jamais se revendiquer mystique, Henri Gougaud touche pourtant à une forme de spiritualité profonde, dénuée de dogmes. Il disait que le monde a besoin non de théories, mais de cœurs brûlants. Des gens qui n’ont pas peur d’aimer, de souffrir, de créer, de recommencer. Sa sagesse est un souffle de confiance : « Tu peux aimer. Tu peux être libre. Et c’est là que commence la vraie vie. »

 

Résister par la beauté

Henri Gougaud a passé sa vie à raconter des histoires, à chanter, à écrire, à faire entendre la voix des peuples sans voix. Pour lui, le conte, la chanson, la poésie, ne sont pas des divertissements, mais des lieux de vérité. Il écrivait : « Le conte est un feu dans la nuit. Il éclaire sans brûler. Il réchauffe sans dominer. Il relie. » Dans cette phrase se tient toute sa vision : la beauté ne s’impose pas, elle rayonne. Elle n’éblouit pas, elle éclaire doucement. Dans un monde où tout s’achète, tout se vend, elle reste gratuite, fragile, essentielle. Elle est ce qui nous rend humain, ce qui nous relie à quelque chose de plus vaste que nous.

Pour Gougaud, le monde moderne produit de la laideur : non seulement dans l’architecture ou les objets, mais aussi dans les rapports humains. La standardisation, la marchandisation de l’intime, la peur omniprésente, le mépris des faibles — tout cela crée une atmosphère où la beauté devient suspecte, où la douceur est perçue comme naïve. Mais c’est justement là que la résistance commence : refuser l’abrutissement, refuser la brutalité comme norme, refuser l’oubli du cœur. Résister par la beauté, c’est cultiver des lieux intérieurs que rien ne peut coloniser. C’est s’acharner à croire en la bonté, en la gratuité, en la tendresse, même lorsque le monde les ridiculise. Cette beauté est profondément libératrice. Elle n’appartient à personne, ne se monnaie pas. Elle surgit dans l’instant, dans le don. En cela, elle est résistance à tout ce qui cherche à soumettre l’âme : le cynisme, la résignation, la haine. Être encore capable de s’émerveiller, c’est déjà ne pas être tout à fait vaincu.

Il y a chez Gougaud une forme de révolte douce, une colère sans haine. Il ne prêchait pas la lutte contre, mais le refus intérieur : le refus d’être réduit à un rouage, à un chiffre, à une fonction. Résister, pour lui, c’était rester vivant dans un monde qui anesthésie, garder un cœur brûlant dans une époque glacée. Sa voix rejoint celle des poètes insurgés comme René Char, Christian Bobin ou Albert Camus : ceux qui affirment que l’art, la beauté, la bonté ne sont pas des refuges hors du monde, mais des forces actives de transformation. La beauté est politique quand elle réveille, quand elle relie, quand elle ravive en nous la mémoire de notre dignité.

 

 

Conclusion

La sagesse d’Henri Gougaud n’est pas celle des livres, mais celle des vieux conteurs, des grands-mères silencieuses, des mystiques sans dogme. Elle est un chemin vers l’intime, vers la joie de vivre, vers la liberté d’être. En redonnant au conte sa force d’enchantement, il nous rappelle que la sagesse ne se conquiert pas, mais s’écoute, se transmet, se partage. Elle est l’art de rester humain dans un monde qui l’oublie trop souvent. Il fut un passeur, un semeur de feu, un frère des sages oubliés. Par sa parole et sa présence, il a réactivé les traditions spirituelles du monde, en les reliant à notre temps avec une liberté rare. Il nous enseigne que la vraie spiritualité ne se proclame pas : elle se vit, dans l’amour, l’émerveillement, l’écoute et le silence. En cela, il est un véritable héritier des grandes traditions, et un éveilleur pour aujourd’hui.

 

 

À lire en complément :

La sagesse du Mystique Luis Ansa

 

Pour terminer la présentation de ce conteur, quoi de mieux que de l’écouter nous conter un conte.