« Les récits édifiants sont très importants, mais si c’est tout ce que vous avez, vous risquez le nihilisme. » Becky Chambers
Si vous vous méfiez de l’optimisme, vous êtes loin d’être seul – les écrivains et les philosophes de l’histoire humaine ont eu des visions ambivalentes de l’espoir. Au milieu de l’incertitude politique, économique et environnementale actuelle, beaucoup d’entre nous ont peut-être remarqué une tendance à tomber dans le cynisme et le pessimisme. Le hopepunk pourrait-il être l’antidote parfait ?
L’hopepunk face au grimdark
Les mouvements littéraires et artistiques surgissent souvent spontanément, à partir de moments spécifiques – en réponse à de grands changements culturels, à des changements géopolitiques et / ou à des flux et reflux spécifiques au sein des sous-cultures.
Dans le monde postmoderne, nous trouvons la plupart de nos groupes rebelles d’artistes en ligne. Il est donc logique que la réponse la plus provocante du monde littéraire à la catastrophe climatique imminente et à la montée de l’extrémisme de droite dans le monde n’ait pas été exprimée dans les pages de prestigieuses critiques littéraires, mais plutôt depuis le foyer d’une communautés créatives et progressistes d’Internet: Tumblr.
« Le contraire de grimdark est hopepunk », a déclaré Alexandra Rowland, une écrivaine du Massachusetts, dans un post Tumblr de deux phrases en juillet 2017. « Transmettez-le. »
Rowland répondait à l’idée de « grimdark » – un cousin du cyberpunk, un genre qui dépeint de façon lugubre et pessimiste des sociétés à la technologie avancée, dont les habitants sont généralement cyniques ou désabusés. Ce sont les mondes de Batman, Breaking Bad, The Walking Dead et tant d’autres propriétés de la culture pop contemporaine – des univers dans lesquels la cruauté est une donnée et les systèmes sociaux sont destinés à trahir ou à décevoir.
Un besoin de récit résolument optimiste :
Après le 11/9, des histoires les films du Seigneur des Anneaux ont fourni des récits essentiels d’optimisme en réponse aux récits répandus de guerre et d’anti-mondialisation. Parce que les années qui ont immédiatement suivi le 11/9 ont impliqué une telle adoption du « réalisme graveleux », des antihéros et des dystopies sombres, il nous a fallu un certain temps pour revenir à une appréciation plus complète de la vertu et de la positivité dans la narration. Rowland a caractérisé cette distinction comme la différence entre le prince humain Aragorn et les hobbits dans Le Seigneur des Anneaux. Aristocratique et né pour régner, Aragorn est intrinsèquement noble et apporte stabilité et unité à son royaume principalement en possédant des qualités héroïques. Pendant ce temps, les hobbits, en particulier Frodon et Sam, luttent à chaque étape de leur périple. La question de savoir si Frodon succombera à l’attrait maléfique de l’Anneau Unique alors qu’il le porte au Mordor est perpétuellement incertaine – mais les deux survivent en s’appuyant l’un sur l’autre et choisissent continuellement de se battre malgré des résultats très incertains.
Dans ce contexte, le célèbre discours de Sam dans lequel il encourage Frodon à continuer à se battre en comparant leur voyage à ceux de héros mythiques qui n’ont jamais abandonné – pourrait doubler comme une sorte de manifeste hopepunk:
« C’est comme dans les grandes histoires, M. Frodo », dit Sam. « Ils étaient pleins de ténèbres et de dangers. Et parfois, vous ne vouliez pas connaître la fin. Car comment la fin pourrait-elle être heureuse ? Comment le monde pouvait-il revenir à ce qu’il était quand tant de mal s’était passé ? Mais au final, ce n’est qu’une chose passagère, cette ombre. Même les ténèbres doivent passer. Un nouveau jour viendra. Et quand le soleil brillera, il brillera le plus clairement. »
« À quoi nous accrochons-nous, Sam ? » Frodon demande alors.
« Qu’il y a du bon dans ce monde, M. Frodon… Et ça vaut la peine de se battre pour ça », répond son ami.
En fin de compte, Sam et Frodon sont capables de réussir parce qu’ils restent fidèles à leurs valeurs de hobbit bien établies d’amour, de communauté, de confort et d’amitié pendant qu’ils se battent.
Du récit à un mouvement culturel résolument optimiste :
Il était immédiatement évident dans la définition élargie de Rowland qu’elle répondait également à une humeur du monde réel. « J’avais beaucoup de sentiments à propos de la catastrophe et du désespoir que je voyais dans mes cercles sociaux à l’époque, tout est devenu nouveau et différent tout à coup. » La définition initiale de Rowland de l’hopepunk embrassait le moment politique actuel en s’appuyant sur un certain nombre d’inspirations établies sur la façon d’agir face à ce qui semble être une obscurité envahissante. Dans son suivi, elle a offert de manière cruciale des exemples de figures politiques mythiques et réelles: « Jésus et Gandhi et Martin Luther King et Robin des Bois et John Lennon » – des héros qui ont choisi de résister radicalement dans des climats politiques injustes et d’imaginer des mondes meilleurs.
Hopepunk fait partie d’une tendance culturelle et narrative plus large vers l’optimisme et la positivité face à des temps sombres. Au fur et à mesure que le terme a acquis une résonance plus large, cependant, quelques paramètres distincts ont émergé qui alignent plus clairement l’espoir sur les tendances esthétiques et littéraires spécifiques, et le peignent comme un contrepoids aux autres. Nous pouvons définir ces paramètres de manière vague comme suit:
- la « force de la douceur » avec une esthétique et une atmosphère consacrées
- une lutte constante et permanente contre la résignation et le pessimiste (voire contre le système)
- la construction d’une communauté par la coopération volontaire plutôt qu’en réponse à un conflit ou une guerre
- des personnages lambdas comme vecteurs du changement (et non des super-héros, des nobles, etc.)
- une conscience de soi-même et de ses émotions comme rappel essentiel de sa nature d’être humain
- de la gentillesse, du respect et de la considération pour l’autre
« La gentillesse et la douceur ne sont pas une faiblesse » clame d’ailleurs Alexandra Rowland. « Il s’agit d’EXIGER un monde meilleur et plus bienveillant. » C’est le côté « punk » du surnom. Il ne s’agit pas non plus de naïveté, d’utopie ou d’idéalisme. C’est proposer que la science-fiction positive ne soit pas juste une évasion face au monde réel, mais bel et bien une invitation à imaginer le changement que nous pourrions nous-mêmes mettre en place dans le monde. « On sait qu’on est mal barrés, mais on ne lâche rien : on se bat et on croit à un monde meilleur. » Il y a de la lucidité dans ce mouvement : nous savons que les conditions sont très mauvaises, mais notre espérance est prouvée par nos actions.
L’OPTIMISME DU HÉROS ORDINAIRE
Car dans ce marasme ambiant il faut affirmer que tout n’est pas perdu. Un meilleur avenir est possible, malgré le contexte actuel. Face au cynisme et à l’effondrement, il faut exiger que les choses s’améliorent, pour qu’un futur possible se réalise. Avec optimisme les personnages des récits Hopepunk se dressent contre les préjugés nauséabonds et les aprioris obscurs. Les héros donnent de l’espoir aux lecteurs car le combat est possible. Comme l’indique le suffixe « punk » propre à la SF, la subversion est évoquée. Avec le Hopepunk nous ne sommes pas dans des histoires « cucul-la-praline » mais de préférence dans une transition où un présent déprimant doit, tant bien que mal, préparer un avenir meilleur. Dans ces cas de figure, le Hopepunk devient un antidote à la résignation.
Ainsi le lecteur découvre pour ses héros un décors chaleureux et confortable dans une atmosphère douce, à des années-lumières des paysages horrifiques de la saga Matrix. De même la temporalité du héros se situe dans une époque contemporaine ou dans un futur proche. Logique, nous vivons actuellement une période trouble, compliqué. Ces combats deviennent nécessaires. Les protagonistes sont ordinaires. Il n’y a pas d’Élus avec un destin qui les dépassent, ni de noble, roi ou princesse qui se révolte contre les règles imposées. Non, il n’y a rien de tout cela dans le Hopepunk. Seulement des gens comme vous et moi qui n’ont pas à accomplir une quête infinie ou une aventure contraignante. Ils n’ont juste qu’à identifier un problème et décider de l’affronter, mais pas n’importe comment. En effet, les protagonistes du Hopepunk font se servir de leurs émotions et sentiments pour démêler des situations conflictuelles. Tout simplement parce que cet effort les aura rendus plus vivant.
L’UNION FAIT LA FORCE !
L’union fait la force, on ne le dira jamais assez. Le collectif permet d’aller plus loin et surtout s’ancrer dans ses actions. L’entraide devient une nécessité qui peut amener à la recherche puis la construction d’une communauté dans laquelle le héros accomplira de grandes choses. En opposition, un univers cynique où seul compte le chacun pour soi, car les personnages agissent les uns contre les autres, prive le héros de soutien. La coopération doit se faire volontairement et pas par intérêt personnel. Le combat devient permanent contre les cyniques et les pessimistes, car il fait l’objet d’un progrès inhérent à la nature humaine. Les scènes de victoire finale du Bien contre le Mal sont très rarement l’apanage du Hopepunk.
LA BIENVEILLANCE EN CONCLUSION
Le Hopepunk n’est pas synonyme d’un optimisme exagéré et aveugle. Il ne promet pas un avenir radieux mais plutôt une offre d’échappatoire aux problèmes actuels pour mieux nous défendre contre eux. L’essence du Hopepunk se concentre dans le fait qu’être doux, honnête et bienveillant n’est ni une faiblesse ni de la naïveté, mais une preuve de courage. Sa raison d’être est d’encourager chacun à ne pas baisser les bras, à participer à son niveau au changement qu’il aimerait voir advenir dans le monde. Céder au pessimisme c’est facile et réaliste, car nos esprits sont préparés à le faire.
L’espoir (le « hope » du terme) devient donc à la fois un acte de résistance pour lutter contre la vision cynique de l’avenir, mais également un vrai choix conscient d’affirmer son humanité. Il ne s’agit pas d’une soumission ou d’une résignation, mais bien d’un acte courageux : croire fermement que nous avons la possibilité de créer un monde meilleur en nous préoccupant les uns des autres, au lieu d’être en lutte permanente les uns contre les autres. C’est le grand pouvoir de la petite goutte d’eau qu’est le cœur de chaque individu. Et pas tout seul ! L’importance du collectif et du communautaire est soulignée : à plusieurs, nous sommes plus forts et nous accomplissons plus grand. Le hopepunk est donc devenu une tendance culturelle et narrative : déprogrammer les pensées établies qui font de notre société et de l’avenir un monde individualiste, sombre, cruel, pessimiste, voire pervers. Écrire un futur et un monde dans lequel on aimerait vivre. Privilégier la bienveillance, l’empathie et le respect de chaque être humain. L’espoir est un beau perturbateur !
en complément :
Apprendre à être dans la bienveillance et la douceur (poesie-sociale.fr)