L’information produit-elle de l’impuissance ?

 

en introduction, une réflexion sur l’évolution de l’information par Henri Gougaud.

 

 

Et si les vrais informations étaient aussi problématique que les fake news ?

Le journaliste Rob Wijnberg explique que les nouvelles concernent toutes les choses sensationnelles , exceptionnelles , négatives et d’actualité. Cinq mots qui résument précisément le problème des informations. La nouvelle est un événement fou sans rapport les uns avec les autres

Parlons d’abord du sensationnel : les nouvelles sont souvent celles qui sont bouleversantes, scandaleuses ou assez effrayantes pour susciter des réactions. Elles se concentrent fréquemment sur ce qui est le plus visible, voire spectaculaire. Selon le journaliste au Guardian, Joris Luyendijk, les attentats terroristes sont souvent les sujets de discussion, mais pas les occupations de terres étrangères. Les attentats sont des événements bouleversants et remarquables, tandis que les occupations sont beaucoup moins visibles. En d’autres termes : filmer l’explosion d’un bus est facile, mais il est extrêmement difficile de filmer la suppression des libertés quotidiennes. Non seulement cela altère notre perception des autres êtres humains, mais les données nous font également oublier ce qui a de l’impact et ce qui n’a rien de remarquable. C’est la raison pour laquelle nous ne connaissons généralement des événements importants que lorsque quelque chose de très improbable se produit (des événements que le philosophe libano-américain Nassim Taleb a qualifiés de « cygnes noirs »).

Les nouvelles sont également généralement négatives, sans exception. « Si cela blesse, cela fait la une » est un slogan utilisé dans les médias. Autrement dit, une excellente nouvelle n’est pas une nouvelle. Les personnes qui sont attentives à l’actualité ont donc tendance à croire que le monde est de plus en plus dangereux et que nous sommes de plus en plus impuissants face à tout cela.

Presque tout ce qui constitue une nouvelle doit être une événement récent. Cependant, ce qui est le plus récent n’est pas nécessairement ce qui exerce le plus d’impact. Tout au monde possède une histoire. Et cette histoire explique en grande partie la raison pour laquelle quelque chose se produit. Étant donné que les médias mettent souvent l’accent sur le moment présent, ils nous ignorant sur le long terme, que ce soit le passé ou l’avenir. Il n’est tout simplement pas naturel dans les formes et les rythmes des informations quotidiennes de nous informer sur les structures de pouvoir qui se sont développées au fil du temps, telles que les origines historiques du racisme, ou de nous informer sur les changements sociétaux progressifs, tels que la financiarisation de notre économie.

Et c’est parce que les données sont principalement centrées sur les événements. Les informations doivent être percutantes, pour reprendre le langage du journal : une raison de les transmettre maintenant plutôt que ultérieurement. Cela paraît compréhensible, mais cela implique que les tendances ne font que rarement la une des journaux du lendemain. Puisqu’il ne s’agit pas d’événements, les tendances évoluent au fil du temps. C’est la raison pour laquelle les bulletins météorologiques se concluent toujours par la météo, mais jamais par le climat.

 

Différentes formes d’informations : 

Spinoza a fait une différence intéressante entre la Révélation et l’Expression. Pour lui, une idée adéquate est une idée produite par la raison et qui correspond à la connaissance que j’ai de la nature réelle (une information en lien avec mon expérience). C’est ce qu’il nomme l’Expression. La Révélation est elle la réception passive d’une information extérieure. Je reçois une information déconnectée de mon expérience. De fait, dans la révélation, je suis agi par l’information, là ou dans l’Expression et donc la connaissance, j’agis pour devenir acteur de ce que j’intègre, en lien avec ma réalité concrète.

Deleuze explique cela dans son ouvrage : “Spinoza et le problème de l’expression”. La Révélation est une connaissance : des signes, des symboles, une connaissance « hors sol » (non ancré dans le réel) et irrationnelle, car venant d’une révélation (une personne extérieure apporte l’information) et non d’une forme de déduction rationnelle. À l’inverse, l’Expression, ce qui va s’exprimer, est ce qui existe (en lien avec notre expérience) et qui demande une connaissance ou une reconnaissance.

Deleuze imagine un dialogue entre Spinoza et Adam : Si nous pensons que l’interdiction de manger la pomme était une Révélation qui était faite à Adam par Dieu, nous sommes dans la logique religieuse de l’ignorance de l’être. Adam suit la loi, il obéit par crainte et non par connaissance.  Si on analyse la même situation au niveau de l’Expression, on comprend que Dieu s’exprime et par la connaissance (qui est l’expression de Dieu) nous apprenons que cette pomme ne s’intègre pas bien avec mon corps, mon être. Dieu permet à ce moment-là de faire connaitre à Adam le rejet de son être et de la pomme. On passe de la croyance à la connaissance. Dans la Révélation, le principe d’autorité tient lieu d’explication suffisante (le fait que l’information vienne de mon professeur suffit à l’accepter comme telle).

On pourrait donc dire que pour Spinoza entre la production énorme de savoir actuel venant de la rationalité et la vie, il y a un gap important. Celui-ci est marqué par l’idée de Platon qui ne considère pas de lien harmonieux obligatoire entre le monde des idées et le monde vécu de la sensation. La rationalité qui demande une exigence de cohérence en sort très souvent le sensible, qui créé justement une faille sociale via l’imprévue, le réel. C’est à cause de cette recherche de cohérence absolue, construite de manière abstraite que cette information « hors sol » devient un cauchemar.

 

La nouvelle est un danger pour la santé qui produit de l’impuissance

L’actualité est de loin la forme de journalisme la plus influente. La quantité qu’on en consomme est incroyable. Le résultat final de notre surconsommation d’informations – ou plus précisément de notre dépendance à l’information – est de nous faire craindre les autres, de nous poser des questions sur l’avenir et de nous poser des questions sur notre propre capacité à l’influencer. Au fur et à mesure, les nouvelles confirment nos préjugés les plus persistants et nos plus profondes peur. Elles suscitent notre pessimisme et notre méfiance. Elles nous font même souffrir. Ce qui manque dans tout cela, c’est la reconnaissance d’une sorte masse invisible du contexte, des connaissances de base et de la compréhension systémique qui donne du poids et du sens aux faits et aux opinions individuelles. Lorsqu’une personne vraiment bien informée se fait une opinion sur un sujet nouveau, elle ne se contente pas de traiter les nouvelles informations de manière isolée. Elle les analyse à travers un réseau complexe de connaissances préalables, en essayant de comprendre comment elles s’intègrent dans des systèmes et des structures plus vastes. Même si elle ne cite pas explicitement ce contexte dans son analyse, tout est là, agissant comme un système de freins et contrepoids sur les conclusions qu’elle tire. Mais lorsque vous absorbez l’opinion de quelqu’un d’autre sur un réseaux social ou un média d’actualité vous ne construisez pas toute cette matière noire intellectuelle. Vous obtenez simplement le produit final – une conclusion ou une opinion qui semble flotter dans l’espace, déconnectée de l’attraction gravitationnelle d’une compréhension plus profonde.

 

L’information ancré créé de l’action : 

Les sophistes ou démagogue (avec le storytelling) ne peut faire avaler n’importe quoi au peuple, car « le corps pense » via l’expérience du réel. Avec la correspondance entre corps et idée qui empêche le corps (l’émotion) de faire n’importe quoi. De la même manière que les idées ne peuvent avoir de sens hors du réel de l’individu. Une idée conceptuelle hors de l’expérience de l’individu créé de l’impuissance à agir, car non ancré dans la vie. À l’inverse, l’idée adéquate, le lien entre la connaissance et l’expérience produit l’action. Spinoza est un penseur de la praxis (de l’action) il réfléchit aux conditions qui déterminent l’action. Et pour lui, c’est la création d’une idée adéquate, car elle accompagne l’affect et le réel.

Ce rejet de l’expérience pour le monde des idées est une forme de rejet du vivant. Pour illustrer cela, nous pouvons songer aux courriers entre Benjamin Constant lettre et Kant. Constant constitutionaliste français, écrit une lettre à Kant en disant en substance :  cher professeur vous disait qu’il ne faut jamais mentir dans aucune occasion, « principe de morale universelle », alors, imaginez-vous qu’un ami arrive chez vous, frappe à la porte et dit il y a un assassin qui veut me tuer cache-moi. Vous le cachez et l’assassin sonne chez vous : que faites-vous ? Et Kant répond « vous ne devez pas mentir. » La rationalité en tant que finalité se retrouve en confrontation avec le vivant. Benjamin Constant exprime que quel que soit le cadre rationnel, « tu ne balances pas ton copain ». Le mensonge est relatif à l’expérience vécue. Le sens commun, c’est vivre dans l’expérience concrète, et non dans un monde abstrait des idées.

Macron est par exemple convaincu que les idées façonnent le monde, il se retrouve du coup très étonné en se demandant comment faire pour expliquer, pour faire arriver le récit des idées aux gilets jaunes ? Sans prendre en considération le réel et ses complexités. Les Gilets jaunes sont à l’inverse l’expression des idées néolibérales marqué dans le réel.

Renouer avec la puissance d’agir :

On peut faire beaucoup de chose, sans être dans une puissance d’agir. C’est la différence entre l’agitation et l’action. L’agitation est agi dans une méconnaissance de ce qui s’exprime. Si l’on prend l’exemple de la ZAD (zone à défendre) de Notre dame des landes, qui s’est construite en plusieurs années, nous pouvons remarquer d’un côté des gouvernements qui pensent, via des intérêts économiques conceptuels, à ces agitations suivant la dynamique structurelle de notre société, les Zadistes, s’abstiennent de ce « faire » là. Et c’est sous la condition de ne justement pas être emporté par la logique conceptuelle de notre époque qui leur permet de libérer la puissance d’agir vers une nouvelle voie.

La puissance d’agir étant dans la sagesse orientale ce qui se nomme le non-agir. Ce qui est actif au service du bien. De nos jours, on est noyé dans un discours ambiant de recherche narcissique du bonheur (voir l’ouvrage happycratie) qui est fondamentalement créatrice de malheur en ignorant cette ligne intensive qui ne correspond pas au service « du bien » social et structurel. Le nihilisme actuel, sa forme dépressive ou narcissique prends la forme de cette supposée recherche évidente du bonheur / plaisir. La forme la plus fréquente d’expression du mal-être de notre époque est dans le faire à outrance. C’est exister à travers l’acte, plus il y a d’actes, plus grande est ma place (d’où l’importance de répondre au téléphone avec des amis où je me retrouve à exister à 2 endroits à la fois). Le désir est une source sociale qui nous traverse, est ressenti comme endogène (venant de soi). Comme disait Lacan « on n’est jamais coupable que de céder sur son désir. » Un être désirant va toujours préférer poursuivre son destin même au prix de sa vie (c’est l’histoire du scorpion qui pique la grenouille qui l’aide à traverser la rivière.) Ce qui nous place à une situation où il est difficile d’imaginer « ce service du bien. Et ainsi on s’éloigne de ce qui est la puissance du bien, de notre être existentiel qui se retrouve en permanence confronté à son désir.

Face par exemple aux créations des entreprises privées qui ne font pas sens (usine, armement, ou de gadgets à la mode) la seule solution qu’on ces entreprises est la mouvance du bonheur au travail, de lieux agréables pour faire tenir les employés. Celui-ci remplaçant la question structurante de l’individu qui est la question du sens. Un enseignant par exemple est motivé avant tout par la question du sens posé sur l’activité. C’est ce qu’on met souvent sous le terme « c’est une vocation » qui veut dire c’est un sens qui raisonne en moi.

Notre puissance d’agir est non mesurable préalablement, (savoir ce que l’on peut, c’est connaitre et mesurer notre être dans sa globalité, ce qui est un leurre) cependant on peut savoir qu’un corps ne peut pas tout (tout n’est pas possible pour une même personne). Mais nous pouvons avoir à certains moments des idées adéquates (selon Spinoza, des idées habitées qui créé notre puissance d’agir).  Plus je connais mes déterminismes (sexe, histoire, fragilités…), mon être dans sa globalité, plus je suis dans une puissance d’agir. À l’inverse, les stimuli que je reçois sous forme d’information, ne va produire aucun agir, car l’information ne serra pas habiter dans mon être. Un artiste, un spirituel est une personne qui habite une information à travers son corps et le transcrit alors dans son agir. Une personne qui est habitée par une connaissance ne peut pas ne pas agir, là où une personne qui reçoit une information peut facilement la mettre de côté.

 

Pour aller plus loin :

les cours de Miguel Benasayag « comprendre et agir dans la complexité« 

les informations le nouveau tabagisme 

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The Consequences of Reading Inaccurate Information

Is the news making us unhappy? The influence of daily news exposure on emotional states