Analyse de la question du mensonge dans le débat et discours politique

Introduction :

À l’époque de la post-vérité, la problématique du mensonge, des fausses informations et des démystificateurs est de plus en plus répandue. Cela peut donc conduire à questionner le lien entre le sujet politique et la question de la vérité. Est-ce que la vérité est essentielle dans tous les discours politiques ?

 

Il y a des domaines où a vérité est particulièrement importante. Par exemple : 

La justice, qui a besoin d’établir les faits pour établir les peines.

L’amour, si on ment alors on fragilise la confiance de l’autre et donc on fragilise la relation. 

La religion, la vérité révélé s’oppose aux mensonges des autres religion. Toute religion se base sur une Vérité fondamentale. 

Le commerce, pour ne pas être trompé sur les transactions, et tomber dans de l’escroquerie. 

 

Domaine que le mensonge n’intéresse pas :

Au fond, la science ne s’intéresse pas au mensonge. La science s’intéresse à la possibilité de réfuter et à l’erreur (quelle que soit la cause de l’erreur, qu’elle soit involontaire ou naïve). Un résultat scientifique est incontestable, c’est-à-dire qu’on ne peut pas s’opposer à un résultat scientifique sans être compétent dans cette science. En conséquence, elle met en situation d’inégalité les citoyens qui sont confrontés à ce résultat. Si elle a un rôle d’information du sens commun on revient à un élément à peu près égalitaire, mais dès lors qu’elle gouverne la prise de décision, ça en devient, antidémocratique.

 

 

4 dimensions du politique par l’anthropologue A Duclos sur le rapport au mensonge :

Une dimension primordiale (structurante le commun) : (généralement inconsciente) C’est la partie de création d’un mythe, une religion, un roman “national”, une vision humaniste cosmopolite, bref le développement d’une vision commune et partagé du monde et de ce qu’on peut y faire. (Dis autrement, nous définissons ce qu’est le monde : une surface exploitable, une surface sacrée, avec ou sans dieu, etc.) et nous interprétons le monde en commun. Dans cette situation, il n’y a pas de place pour la question du mensonge, mais plutôt pour accepter un cadre commun partageable et symbolique. Il ne s’agit pas du vrai contre le faux, mais plutôt d’une compétition entre des propositions mythologie (des scènes sociale de l’action) pour faire du sens et un sentiment d’appartenance commune. (Voir ici un article sur la question du commun créant de l’affectif)

 

La dimension fondamentalement politique : C’est là que se déroulent les luttes pour la distribution des biens et des richesses. Lorsqu’on se positionne ici, la question du mensonge est très minime, la priorité et l’importance réside dans la prise de position elle-même et la confrontation des positions. Sur ces questions toute personnes a une légitimité d’exposer et de défendre son opinion politique. (C’est ici que ce pose l’importance du conflit politique, voir cet article)

 

La dimension circonstancielle (cartographie du réel) : Comment pouvons nous expliquer ensemble les conditions dans lesquelles nous allons prendre des décisions politiques au vue de la situation concrète ? Le mensonge ou la vérité revêt une grande importance ici. C’est là que l’on essaie de rendre compte de la réalité.  (c’est ici que se questionne notre relation à l’information pour analyser la question du vrai)

 

La dimension individuelle (la plus superficielle) : La vie des justiciables, des individus. La question qui se pose est de savoir si la personne, en fonction de ses actions et de ses mensonges, mérite d’être punie par la justice. C’est là que se trouve la partie la moins pertinente pour faire de la politique au sens création de commun. (c’est ici que se questionne la place du Droit). 

 

 

L’expertise et le débat politique

Pour en revenir à la question politique dans l’antiquité grecque, comme la décision scientifique réside dans le fait qu’elle ne permet qu’à certaines personnes de prendre une décision, il n’aurait pas été toléré dans une agora athénienne qu’une personne utilise des chiffres techniques pour prendre telle ou telle décision. La rhétorique refusait la spécialisation dans le discours politique pour permettre à chaque citoyen de participer au débat.

 

Comment faire entrer les sciences en démocratie ?

Il s’agit d’une pédagogie extrêmement complexe car la pédagogie elle-même n’est pas innocente. Par exemple, elle va donner l’impression qu’une approche scientifique peut être entièrement objective sur le monde, ce qui est loin d’être évident. Une approche totalement objectivée du monde implique d’abord l’élaboration d’un paradigme, des conditions sociales, économiques et politiques, ainsi que la production de la science, mais également une prise de décision face au monde. Donc l’idée qu’on aurait une part du chant de la décision politique qui serait neutralisé car on pourrait la donner à la science, et de l’autre le lieu du conflit de l’échange d’opinion, du mensonge, de l’orateur…est extrêmes risqué.

 

La question de l’honnêteté c’est la question de la morale.

La morale n’est ni un sujet de science, ni un sujet de politique. Lorsque je cherche à déterminer si une personnalité politique est honnête ou malhonnête, morale ou immorale, gentil ou méchant, je ne me pose pas de questions politiques, mais plutôt des questions morales, psychologiques, peut-être esthétiques, mais je suis très loin du domaine politique. Je m’écarte de la problématique du conflit concernant la répartition des statuts, des richesses, des biens et des méthodes de régulation des conflits. Ainsi, lorsque la question du mensonge apparaît dans le débat public, il est possible que le débat se concentre sur la moralité des individus, ce qui entraîne une défiance envers le personnel politique plutôt que de se concentrer sur des questions réelles.  Ce qui entraîne cette déviation est d’une part le réflexe, le parti pris, du personnel politique à ne présenter que des énoncés qui peuvent être considérés comme vrais ou faux, c’est-à-dire des énoncés qui peuvent être mensongers, plutôt que de présenter des convictions et des positions.

Une personne qui dirait « moi, je suis pour le libéralisme. » il ne peut pas vous mentir, la question de savoir si c’est vrai ou faux n’a aucune importance, il a pris position dans l’espace public. Et il n’y a jamais d’autre chose dans l’espace public politique, que des prises de position. On est en pleins dans le champ du politique. Si à l’inverse il dit « le libéralisme de marché est le meilleur moyen de. » là c’est vrai ou faux. Et donc soit on est dans un état totalitaire est ça devient ça un credo, ce qui est un objet politique très singulier. C’est la doctrine officielle inculqué à chacun, qui ne fait plus l’objet de prise de décision. Soit c’est un objet d’une personne qui prétend porter autre chose qu’une prise de position politique, mais qui prétend être capable de dire la vérité, et donc sort du contexte politique. Par exemples : « nous vivons dans un monde mondialisé, la mondialisation est inéluctable, la croissance est bonne, le chômage est mauvais… » ce sont des énoncés structurants qui ne sont plus questionné car présenté comme des vérités. Pratique à laquelle on peut ajouter cette manie du chiffre qui place le citoyen dans une position assez faible qui consiste à dire « soit je te crois, et même dans l’incapacité de vérifier, je m’abandonne à toi, soit je considère que tu es un menteur. » L’arnaque étant que le chiffre en lui-même contient le poison. Que le chiffre soit vrai ou faux, n’est pas véritablement le problème, le problème c’est qu’on choisi ce chiffre là qui est déjà un positionnement politique implicite jamais questionné.

 

Exemples de sujet piège qui amène vers une dépolitisation :

Questionner les chiffres du chômage : la bonne question politique comment ça se mesure, et est-ce bon ou mauvais ?

Dire qu’il y a de la croissance : au lieu de questionner le fait que la croissance soit préférable à la décroissance

De cette analyse, on peut se questionner sur la pratique de la Vérification des faits (le Fact-checking), comme fait social est significatif et grave. En raison de la perte d’énergie nécessaire pour vérifier des informations, car ce qui a été publié n’est pas véritablement un énoncé politique, mais plutôt des affirmations d’expertise déjà influencées par leur choix, par l’opinion politique latente qui n’a jamais été exposée et discutée. De fait quand vous recevez une information où l’on peut se demander si c’est vrais ou faut, demander le pourquoi, pour replacer la question dans la sphère politique. A l’inverse, focaliser dans le débat politique la question du vrais ou du faux, permet de privatiser le discours politique dans la seule approche technocratique d’une expertise sociale apolitique. En revanche, la démocratisation consiste à rendre le discours politique plus subjectif en confrontant les différentes opinions politiques.

 

Conclusion : 

Selon Balandier, toute question politique se transforme en une question technique. Lorsqu’on rend des comptes aux citoyens dans ce contexte, il ne s’agit pas de leur expliquer avec des termes que tout le monde peut comprendre, mais plutôt d’obtenir d’eux certains comportements. À cette époque, la compétence doit être la priorité et non le résultat d’une décision politique. Dès lors, je prévois de formuler un discours qui ne reflète pas une position, mais plutôt un regard d’expertise qui, du haut de sa compétence, affirme la vérité (selon l’approche platonicienne du Roi sage et expert). À partir de là, je serai confronté à soit des individus capables de contester les chiffres, ce qui aura toujours pour conséquence d’éviter le cœur du débat politique (la position), soit des individus qui pourront dire « je vous suis », ou « vous mentez », ce qui entraînera également une rupture avec la démonstration politique. La position dans le monde n’est plus prise : « Moi, à tel endroit, dans telle classe sociale, je crois que le mieux serait de… » On pourrait donc dire que dans la politique, la question de la vérité n’est pas centrale mais plus de questionner au service de quoi on la met ? Au service de quoi met on l’effort commun pour tomber d’accord sur la réalité ? C’est que nous sommes en pleine question politique.