La violence policière symbole d’une impossibilité de structuration sociale

Le fonctionnement et la mise en œuvre de la violence sociale ne peuvent être appréhendés qu’à travers la forme de solidarité qui l’encadre.

(à voir en introduction un article sur les différentes formes de solidarité sociale pour tisser du lien) 

 

Les 4 domaines du pouvoir selon Georges Balandier :

  • Le maintien de l’ordre intérieur (sur un territoire donné, à l’intérieur de frontières)
  • Le maintien de l’ordre extérieur (extérieur aux frontières d’un territoire)
  • L’ambiguïté : comment on justifie les inégalités dans une société
  • La sacralité : ce qui fait que le pouvoir représente quelque chose de plus que la simple somme des rapports de forces en jeu et des personnes qui exerce le pouvoir.

De nos jours, les individus qui symbolisent le pouvoir et la préservation de l’ordre intérieur et extérieur sont très critiqués dans leur sacralité (technocrates, négligeant l’intérêt collectif) et leur ambiguïté (ils ne parviennent pas à légitimer les inégalités qu’ils souhaitent légitimer). Cela engendre une absence de solidarité organique, le maintien de l’ordre ne se fait plus de soi, la légitimité de l’ordre ne se fait plus de soi, et par conséquent, l’ordre a besoin d’une force de l’ordre pour imposer les décisions.

La société contemporaine se distingue par deux formes de pouvoir : celui qui peut prendre des décisions et celui qui peut faire. Le pouvoir économique est une puissance élargie qui n’est pas éligible, ayant le pouvoir de faire, tandis que le pouvoir politique possède la légitimité de prendre des décisions. Quand deux pouvoirs sont séparés, cela entraîne une crise du pouvoir.

 

Note et remarque sur le monopole de la violence légitime de l’État analysée par Max Weber.

Il n’existe d’État que si le pouvoir en place réussit à faire reconnaître l’usage de sa violence comme légitime et à garantir le monopole de sa violence légitime. Ce n’est donc pas parce que cela provient de l’État que cela est légitime, mais plutôt parce que la population reconnaît un monopole légitime de la violence à ce pouvoir. Lorsque la population ne reconnaît pas la légitimité de la violence policière et de l’État, cela entraîne une crise de l’État, une crise politique. Il n’existe plus à proprement parler un État, mais plutôt un pouvoir qui se maintient grâce à la peur et à la force. Dans cette situation, on assiste à un effondrement de la structure politique à laquelle on a généralement confié la responsabilité de résoudre les conflits par la force des griefs et des conflits sociaux. 

 

L’obéissance par Max Weber. Les 3 raisons légitimes d’obéir au cadre social :

  • la légitimité traditionnelle (inscrite dans une époque mythique et une interprétation symbolique du monde).
  • la légitimité charismatique (on met en valeur sa capacité à transformer cette société).
  • la légitimité rationnelle de l’obéissance (en termes de valeur ou de finalité) se situe dans une transition du principe d’organisation vers la rationalité.

 

Le rôle structurant de la police comme force administrative :

L’apparition de la police nécessite l’externalisation d’un ensemble de fonctions administratives distinctes, qui sont même séparées (une fonction de légifération, une fonction de justice et enfin une fonction de surveillance et de punition qui est celle du policier). La fonction policière est principalement axée sur l’administration et l’économie, visant à assurer le bon fonctionnement du système. Il s’agit d’une manière d’individualiser la protection (un groupe social spécifique va le punir individuellement). Contrairement à une société traditionnelle où si un problème survient, c’est tout le groupe social qui agit ou est agi par… De fait, la police intervient dans une société où la régulation est nécessaire mais où l’intégration (se sentir appartenir au même groupe) est peu répandue.

Pour trouver une légitimité à la police, nous examinerons le rôle de la police en utilisant les trois formes d’obéissance proposées par Weber.

  • Il existe une forme de tradition dans le rapport d’emboitement entre la police et les militants, (à travers un langage, des chants et des actes tels que les banderoles, l’ACAB, la mort aux vaches, etc). Une partie de la légitimité et du sens social de la police est contenue dans une forme de tradition (le rapport de force en manifestation est la forme la plus traditionnelle pour exprimer une revendication sociale), ce qui peut dissimuler une analyse plus approfondie de sa position structurelle.
  • De la même manière, les ministres de l’intérieur, en utilisant des phrases choc telles que “nettoyage au karcher”, en mettant en place des projets de socialisation ambitieux (la police va apporter de la socialisation dans les territoires oublié de la République), cherchent à créer une forme de légitimation charismatique pour la police.
  • Le fait que la police existe et qu’il y ait un besoin de présence policière témoigne d’un défaut de société. C’est en raison de la différenciation qui découle d’une société fortement différenciée, basée sur une société organique où les individus sont très atomisés, que la violence des individus entraîne des mises en cause individuelles des personnes et des biens, ce qui nécessite l’intervention d’une police. Le jugement n’est pas basé sur la raison, mais plutôt sur la pragmatique. Dans l’état actuel de la société française, il est impossible de faire autrement que d’utiliser la police pour prévenir la désintégration de la société.

 

Ce n’est donc pas : étant donné mon désir d’une vie sociale, il est nécessaire que j’utilise une force policière, ce qui serait donc une justification rationnelle, mais :

  • Puisque je veux cette vie sociale dans cette société atomisé (néolibéralisme social) ou
  • Puisque je veux dans cette société où l’on impose une pression totale sur les masses (communisme étatique) pour obtenir une ingénierie sociale, et un contrôle de la socialisation

Alors, la force policière sera un besoin structurant et stabilisant. En d’autres termes, la police est le bras armé d’une administration du cadre social. C’est donc une forme d’ingénierie ou de taylorisme social.

 

La question de la manifestation par le regard de Balandier :

Les manifestations autorisées et organisées sont régies par des pratiques et des habitudes très explicites (on sait qui est responsable, comment cela va se dérouler, etc.). Elles sont un moyen d’expression, de contestation et de négociation, mais elles ne constituent en aucun cas une violation de l’ordre. Il s’agit même de l’inverse de la célébration d’un mode de conflit qui valorise la paix sociale. Par conséquent, la manifestation (avec un niveau de force accepté et préparé des deux côtés) s’inscrit dans une logique de maintien de l’ordre qui est parfaitement compris et accepté par l’administration au pouvoir. C’est une part de baroque acceptée, même si pas écouter, par le fait même qu’elle ne remet pas en cause l’ordre établie. En prenant la question et la place des Black Bloc, on peut établir deux rapprochements : un entre les émeutiers, les révoltés, et un dans une forme de mimétisme. Où dans la pratique, ils se ressemblent (armure, arme, envie de combattre, organisation structurée, solidarité dans le groupe…) de sorte que l’action des uns n’est justifiée que par la présence des autres. L’organisation de la violence se retrouvent alors confrontées à une tentative de rapprochement avec l’expérience vécue d’un même événement. Comme une population divisée peut s’unir et se reconnaître après un attentat. Ou comme à l’époque, le duel à mort pour outrage a engendré un groupe de potentiels ennemis mais de semblables prêts à mourir pour son honneur. Cette violence accentue ainsi une forme de solidarité mécanique.

Le maintien de l’ordre consiste principalement à maintenir un ordre. L’application des règles est donc la base d’un ordre en cours. La police est donc nécessaire lorsque la société ne parvient pas à trouver un équilibre entre la régulation et l’intégration, afin que les règles soient totalement acceptées et intégrées par tous. Ainsi, la violence de l’administration d’un ordre au pouvoir, se transforme en violence policière. (un article ici sur des conseils lorsque l’on va en manifestation) 

 

La violence policière :

 Que l’on peut définir comme l’utilisation par un représentant des forces de l’ordre de son corps, d’une arme ou d’un outil, dans le but de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’une personne. Qu’il s’agisse d’un but final ou d’un moyen d’atteindre un autre objectif. Il s’agit donc d’une interruption ordinaire du régime normal qui préserve l’intégrité des personnes. Ainsi, la distinction ne réside pas dans la nature, mais plutôt dans le contexte et la réglementation juridique.  

 

La police est donc l’expression d’un double échec :

L’administration échoue à se faire aimer afin de favoriser l’intégration et à éviter tout délit, tout en étant incapable de résoudre ses conflits de manière purement administrative. La violence se manifeste alors lorsque la police est sollicitée pour trouver une solution à ce double échec. De faire adhérer à un ordre, à un système en place, une population qui refuse d’y adhérer, sans ce placer frontalement en ennemi (qui alors engendrerait une forme de guerre). Cependant, les forces de l’ordre vont alors évoquer un ennemi interne, repositionnant la situation dans un contexte de guerre pour légitimer le passage à la violence.

 

Le rôle de la violence sociale ?

La violence sociale permet de rétablir l’équilibre entre les deux formes de solidarité. La violence est le résultat d’une pulsion visant à renforcer la solidarité mécanique (le besoin de similarité), mais également un moyen que la société très structurée et très différenciée utilise pour maintenir sa cohésion.

Dans la question du sacrifice
La violence est utilisée pour mettre en lumière les disparités entre différents ordres, tout en étant un moyen de partager du symbole et ainsi favoriser l’intégration collective. Le sacrifice commémore ainsi la concordance entre l’ordre humain et l’ordre divin, un rapport au monde analogique. En outre, le sacrifice peut favoriser la création de liens, en tant que lieu de rappel de l’ordre des choses à un moment le groupe peut se séparer (mariage, commerce, guerre…).

Dans la question de la guerre comme forme rituelle : (rapport social agonistique de Mauss)
La fantasia est une tradition équestre principalement pratiquée au Maghreb, qui consiste à simuler des attaques militaires. On désigne notamment cet art sous le nom de « jeu de la poudre » ou « jeu des chevaux », une représentation d’une guerre obsolète pour représenter le désordre avant la structuration de la société. La violence est esthétisée et valorisée pour en faire un média porteur de sens collectif, qui renforce alors le sentiment d’appartenance. 

Dans la violence guerrière :
Son domaine d’application est principalement la solidarité organique et peut parfois engendrer de la solidarité mécanique. La guerre se caractérise par la spécialisation des soldats envers les cibles (les civils touchés sont des dommages collatéraux et non des intentions directes, sinon cela entraînerait le terrorisme), ce qui explique la solidarité organique. Le service militaire garantit le maintien de l’ordre extérieur. À la fin des mobilisations, elle se transforme en une forme de solidarité mécanique. Afin de mobiliser un peuple, il est nécessaire de distinguer l’unité d’un peuple qui existe, face à l’adversaire qui est présenté en opposition radicale.

Il est fréquent de trouver cela aussi dans de nombreux mythes qui décrivent un chaos ou un conflit majeur, qui aboutit soit à la formation du monde social, soit à l’effondrement du monde social. La violence est alors, utilisée pour définir les groupes, qui seront considérés comme les groupes normaux du fonctionnement social normal (dans le sens de la norme collective). Une société se maintient ensuite en rejouant des épisodes de chaos organisé d’où elle est sortie. Par exemple le Puy du Fou qui par ses spectacles, tentent de mettre en avant d’autres conflits structurant la société sur un mythe fondateur, construit sur une solidarité mécanique, d’identité nationale et religieuse. Ou pour un autre exemple, la transformation de la Révolution française en un mythe fondateur de notre société a permis de répondre à l’ambiguïté (légitimer les inégalités sociales) et à la sacralité du pouvoir, qui sont aujourd’hui fortement remises en question.

 

Source : Basé sur les cours d’Alexandre Duclos