La force du vivant résulte de la robustesse et non de la performance

Dans le tract, Antidote au culte de la performance, le biologiste Olivier Hamant nous propose de nous inspirer de la  » robustesse du vivant «  pour appréhender l’ère de l’anthropocène dans laquelle nous sommes désormais.

 

Olivier Hamant est un chercheur français en biologie et biophysique. Il s’inspire de ses travaux pour prôner un modèle de société qui s’inspire du vivant, et dont les principes soient en conséquence guidés par la recherche de la robustesse plutôt que par celle de la performance. 

On connaît depuis longtemps la finitude des ressources terrestres et l’effet de la croissance sur l’environnement. Déjà en 1972, le rapport Meadows avertissait sur « les limites de la croissance » et « anticipait un événement de rupture socio-économique dans la première moitié du XXIe siècle ». Malgré les avertissements, peu ou pas de mesures ont été prises pour faire face à la menace. Le biologiste Olivier Hamant propose, dans ses travaux, une relecture des mécanismes du vivant qui pourrait inspirer de nouvelles manières d’habiter le monde. Au cœur de sa réflexion se trouve le concept de robustesse, qu’il oppose à l’obsession de la performance et de l’optimisation. À la croisée de la biologie, de l’écologie et de la philosophie, la robustesse devient chez Hamant une éthique, susceptible de renouveler notre rapport au vivant et à l’action.

 

La robustesse : une alternative à l’optimisation

Dans les systèmes biologiques, la robustesse désigne la capacité d’un organisme à maintenir ses fonctions essentielles malgré des perturbations internes ou externes. Contrairement à l’optimisation, qui vise une efficacité maximale dans un contexte donné, la robustesse valorise la souplesse, la redondance, l’imperfection et la variabilité.

Olivier Hamant souligne que les organismes vivants sont robustes non parce qu’ils sont parfaits, mais parce qu’ils tolèrent l’imperfection. Loin d’un idéal de contrôle absolu, le vivant s’organise autour de marges d’erreur, de redondances fonctionnelles et de réponses collectives.

En s’appuyant sur les avancées récentes de la biologie du développement et des systèmes complexes, Hamant montre que la robustesse est une propriété émergente du vivant, qui ne repose pas sur la régularité mais sur la diversité des réponses possibles. Cela signifie que l’efficacité biologique réside dans la capacité à absorber l’imprévu, plutôt que dans la recherche d’une solution unique ou optimale. Cette perspective vient contester les modèles mécanistes hérités de la modernité, où le vivant était souvent réduit à une machine perfectionnable. À l’inverse, le vivant est ici pensé comme un système dynamique, résilient, ouvert à l’aléatoire, ce qui oblige à revoir en profondeur nos modèles de gouvernance, de production et d’innovation.

 

Une leçon politique et éthique du vivant

Pour Hamant, la robustesse n’est pas seulement un concept scientifique : c’est aussi un principe d’organisation sociale et politique. Dans un monde incertain, marqué par les crises climatiques et sanitaires, les systèmes robustes sont ceux qui tolèrent la diversité, qui misent sur l’interdépendance et qui acceptent de ralentir.

Ainsi, à rebours d’une société fondée sur l’optimisation (des rendements, des flux, des données), Hamant propose d’inspirer nos modèles de la logique du vivant : faire place à la redondance (éviter la centralisation excessive), à l’erreur (source de créativité), à la lenteur (garantie de durabilité). Il s’agit dès lors de repenser notre manière de concevoir les politiques publiques, l’éducation, l’économie ou même l’innovation, en privilégiant la robustesse à la performance. Le vivant nous invite à changer de paradigme : abandonner le mythe de la maîtrise totale au profit d’une culture de l’adaptation, du soin et de la résilience.

 

 

La robustesse n’est pas la résilience

Le terme de résilience est devenu polysémique et mal compris. Selon les écologistes, cela signifie plus ou moins une solidité à long terme, avec l’idée de flexibilité qui peut être incluse dans la viabilité. Dans cette perspective, le lien entre performance et robustesse correspond parfaitement au lien entre efficacité et résilience. Selon les autres, la résilience se résume à la capacité à rebondir, ce qui signifie que dans un monde néo-libéral axé sur la performance, il est nécessaire de tomber pour se renforcer.

La résilience, en tant que concept psychologique appliqué au monde socio-économique, représente une autre forme de pression pour atteindre des performances néfastes. Devant ce constat, il est donc possible de conclure que pour être résilient et garantir que ce n’est pas fatal, il est essentiel d’être d’abord robuste. De nos jours, la surcharge de contrôle nous a fait perdre le contrôle. Il sera donc nécessaire d’apprendre à vivre dans un monde où nous avons perdu le contrôle. Il est déjà trop tard pour espérer maintenir la maîtrise de la nature, le monde va changer quoi qu’on fasse ; il oscille déjà énormément.

 

Comment aller vers la robustesse ?

Les nuées d’étourneaux offrent une magnifique illustration du vivant afin de rendre compte de la progression du changement. Ils se déplacent d’un coup à droite et d’un coup à gauche. Qui a le choix de tourner ? Ce sont toujours les oiseaux qui se trouvent à la périphérie du groupe. Au centre de la nuée, les oiseaux ne perçoivent que leurs voisins, ils sont aveugles au monde, tandis que ceux qui se trouvent à la périphérie sont préoccupés par les variations extérieures. Une règle toute simple nous est enseignée : tout système évolue en fonction de ses marges, de sa périphérie. Ce qui concerne une nuée d’oiseaux, s’applique également aux systèmes biologiques et aux systèmes sociaux.

L’histoire a vu de nombreux empires s’effondrer en raison de quelque chose qui s’est produit à la marge. Si l’on souhaite saisir les signaux faibles du monde à venir, il est nécessaire d’observer ce qui se déroule à la périphérie. Ce que l’on observe, c’est la présence de petits paysans qui se consacrent à l’agroécologie, au tout réparable, à l’habitat participatif, des éléments qui vont dans le sens de la robustesse, qui proviennent de la périphérie et qui vont contaminer le centre et le faire évoluer. Cette contamination commence à se manifester. Lorsqu’on passe de la performance à la robustesse, tout est inversé, y compris le prix des objets, et c’est ainsi que l’on peut nourrir la justice sociale.

 

Le concept de robustesse tel que défendu par Olivier Hamant représente une contribution majeure à la pensée contemporaine du vivant. En montrant que la robustesse n’est pas un obstacle au développement mais une condition de la durabilité, Hamant nous offre une grille de lecture précieuse pour affronter les défis du XXIe siècle. Cette approche propose une « troisième voie » entre le productivisme technicien et la résignation collapsologique : une voie inspirée du vivant, ancrée dans la complexité, l’imperfection et la coopération.

 

Pour aller plus loin : 

vous trouverez des ressources ici 👉 larobustesse.org