La résonance est une relation entre le sujet et le monde

Qu’est-ce que la vie bonne ? le penseur allemand Hartmut Rosa croise avec brio sociologie et philosophie pour nous engager à cultiver les expériences de « résonance ». la “résonance”, ce “lien vibrant entre moi et le monde”, qui se produit lorsque nous nous sentons dans le bon rythme, en phase avec ceux qui nous entourent, et qui est le revers salutaire de l’aliénation produite par l’accélération des sociétés postmodernes.

C’est au travers des histoires parallèles d’Hannah et d’Anna, que Hartmut Rosa, philosophe et sociologue, a décidé de nous faire comprendre dans son ouvrage “Résonance”ce qu’il appelle le “lien vibrant” entre nous et le monde, cette résonance que nous ressentons lorsque nous avons la sensation que “la vie nous réussit”, lorsque nous l’aimons, lorsque nous avons une relation quasi charnelle avec elle, aux humains comme aux espaces ou aux tâches à accomplir, dans une relation souple, élastique et fluide.

Le propre des sociétés postmodernes, par opposition aux sociétés traditionnelles, est de ne trouver leur équilibre que dynamiquement, par la croissance, l’accélération ou l’innovation. Les Modernes ont longtemps cru que la société et la politique allaient vers le meilleur – que leurs enfants vivraient mieux qu’eux-mêmes. Nous sommes toujours dans la modernité, au sens où nous avons toujours besoin de l’accélération, notre équilibre est dynamique. Mais nous ne croyons plus au progrès. Nous accélérons, mais seulement pour ne pas tomber.

Nous vivons une crise profonde des relations. Des relations avec la nature – c’est évident avec la crise écologique. De la relation à nous-mêmes – la consommation de psychotropes a explosé dans l’ensemble des pays développés. Mais aussi de la relation aux autres. Cette crise est produite par l’accélération, dans la mesure où cette dernière ne nous laisse pas le temps de nous poser, de nous approprier les êtres et le monde, d’entrer vraiment en relation avec eux. Mais la vitesse n’est que la cause indirecte du problème.

Il importe de distinguer nos conceptions du monde et nos relations au monde.

Selon nos conceptions du monde, à nous Occidentaux du XXIe siècle, il est clair que seuls les êtres humains parlent vraiment. Le monde physique est constitué d’une matière morte, sans voix. Du point de vue scientifique, la neige est composée de cristaux de glace ; mais quand je découvre un manteau de neige en ouvrant les volets le matin je fais une expérience d’un autre ordre. Si je me promène en forêt, je peux dire que les feuillages murmurent. Cette métaphore renvoie à une certaine qualité de ma relation aux arbres. De nombreux intellectuels et membres de la classe moyenne supérieure mangent bio. Sur le plan de la connaissance scientifique, il n’est pas prouvé que les aliments bio soient meilleurs pour la santé, car ils transportent des bactéries et sont plus vite avariés. Mais pourquoi aimez-vous la terre collée sur la tomate ? Parce qu’à travers l’aliment bio, vous cherchez une connexion à la nature dont la condition urbaine vous prive. Même dans une civilisation matérialiste, rationaliste, cartésienne si vous voulez, les liens affectifs avec le monde sont avidement recherchés.  C’est pourquoi la phénoménologie de Merleau-Ponty est si éclairante : dans mon expérience subjective, le monde et le moi ne sont pas séparables. Je perçois le monde, il est donc en moi, mais je suis également en lui.

Il y a résonance si et seulement si quatre critères sont satisfaits.

Premièrement, l’affection. Je dois être affecté par quelque chose d’extérieur. Un paysage, une musique, une personne, un événement.

Deuxièmement, la résonance s’accompagne d’autoefficacité : le sujet affecté se sent en mesure de répondre, il va réagir. Je deviens actif dans notre relation.

Troisièmement, et cela découle de ce qui précède, il y a transformation : la résonance apporte du neuf. Un professeur qui fait cours, s’il entre en résonance avec sa classe, oublie le manuel et se lance dans des digressions, son discours est transformé.

Quatrièmement, la résonance est indisponible, elle n’est pas planifiable. J’achète des billets pour un concert avec un excellent orchestre, mais la musique me laissera peut-être indifférent, la résonance ne s’obtient pas sur commande.

 “nous sommes touchés et saisis, la vie et les flux nous traversent, les rires et les larmes en sont de bons témoignages”

 

 

Pour échapper à l’aliénation, liée à l’accélération et à la course au profit, il est bon d’explorer les voies de la résonance

 

Il y a d’abord les axes de résonance horizontaux.

Ils nous relient aux autres êtres humains. Le nouveau-né est en résonance horizontale avec sa mère. La famille est un lieu de résonance, du moins quand les relations ne sont pas détériorées. Quelle est la différence entre une simple connaissance et un véritable ami ? Vous avez des moments de résonance avec le second.

La résonance horizontale a également une dimension politique.

La démocratie est en effet un régime qui promet à chacun de faire entendre sa voix, à travers le vote ou la liberté d’expression. Disons que la résonance horizontale est une promesse de la démocratie. En pratique, les débats parlementaires ont un grand défaut : lorsque vous êtes député d’un parti, votre rôle est de ne jamais reconnaître la validité des arguments de l’adversaire. Si vous êtes dans l’opposition, vous partez du principe que le gouvernement a tort. Vous privez ainsi la délibération de sa substance, vous bloquez toute résonance transformatrice. Cependant, la crise actuelle des démocraties va au-delà de cette faiblesse. De façon symptomatique, on entend partout les partis populistes s’exclamer à propos des gouvernants : « Ils ne nous entendent pas ! » C’est aussi le sentiment des peuples vis-à-vis de leurs élites. Ce qui veut dire : ça ne résonne plus pour nous

deuxième axe : la résonance verticale. 

C’est l’expérience d’une rencontre avec une grandeur et une beauté qui vous dépassent, avec le monde lui-même. Ce ciel étoilé, ce soleil couchant, cette symphonie sont tellement saisissants… ils vous transportent au-delà de vous-même.

 

cette résonance verticale  implique une sorte de transcendance

Les grandes religions monothéistes proposent à leurs fidèles des expériences de résonance verticale : c’est le rôle de la messe, de l’eucharistie, des architectures grandioses des cathédrales, de la musique sacrée, de la prière. L’attrait de la religion est largement fondé sur une promesse de résonance adressée aux fidèles. Nous pouvons retrouver aussi cela dans le courant Romantique par exemple, la nature nous communique des sentiments. Le paysage épanche son caractère mélancolique ou sublime en nous. De même pour l’art : l’œuvre romantique doit vous toucher, s’adresser à votre sensibilité, pas seulement à votre intellect. L’ouverture aux cultes animistes (par le chamanisme ou la wicca) participe au même désir de transcendance et de résonance avec le vivant qui nous entoure.

 

 

Viennent enfin les axes de résonance diagonaux.

Ils impliquent la présence d’un matériau, sur lequel je peux agir. Ces axes diffèrent d’une personne à l’autre : pour l’explorateur polaire, la glace est quelque chose qui vit, qui respire et qui parle, et pour un amateur de musique, c’est un rythme de guitare qui lui donnera se sentiment.

 

 

Conclusion : 

Les facteurs de résonance sont nombreux, mais ce qui est sur, c’est que la concurrence et l’accélération, parce qu’elles sont anxiogènes, sont des facteurs destructeurs de résonance :

quand nous sommes en concurrence avec des personnes, il est impossible de former le moindre axe de résonance avec elles. De même, l’accélération est l’ennemi de la résonance : élaborer et entretenir des axes de résonance demandent du temps, de l’écoute, de la sensibilité, de l’ouverture. C’est ce qu’exprimait déjà Marx avec le concept d’aliénation, ou encore Weber avec l’idée de dés-enchantement : ” Si nous sonorisons les ascenseurs ou les supermarchés avec de la musique d’ambiance, c’est pour nous donner le sentiment que le monde chante encore, qu’il n’est pas devenu froid et muet… Si nous portons des écouteurs, c’est parce que nous ne croyons plus le monde réel porteur de qualités de résonance.

 Si nous comptons nos amis sur Facebook ou nos suiveurs sur twitter, si nous attendons avec impatience les commentaires, les “j’aime” des réseaux sociaux”, c’est parce qu’ils nous signalent encore à tous une certaine résonance du monde : le monde nous considère comme vrai, il nous répond, nous lui sommes reliés. C’est aussi la raison pour laquelle le signal acoustique ou la vibration qui accompagnent un appel ou une nouvelle demande de contact, non seulement ne nous laissent pas froids, mais pénètrent notre système nerveux jusque dans ses tréfonds. Ce sont des signaux de notre résonance au monde. Celle qui nourrit les bonnes vibrations qui nous font aimer la vie.

Ce qui donne de l’espoir, c’est le soubassement anthropologique selon lequel l’homme est par nature un être de résonance. Peu importe la société dans laquelle il vit. Il suffit de regarder les nourrissons qui ne sont ni des êtres de langage ni de raison, en revanche ils cherchent constamment à entrer en résonance avec les personnes et les objets qui les entourent. Il y a toujours deux aspects dans nos relations, un aspect utilitaire et un aspect possiblement résonant. Cette double dimension se retrouve à tous les niveaux de notre vie, quand on se déplace dans une ville, c’est pour rejoindre un endroit mais il y a toujours la possibilité d’une rencontre, d’un ciel qui nous touche… Ces espaces de résonance peuvent se retrouver à l’école, dans la relation entre enseignants et élèves, à l’hôpital entre soignants et patients, évidemment leurs rapports sont conditionnés par des logiques d’efficacité mais à partir du moment où des personnes entrent en contact, l’expérience de la résonance est possible. 

C’est pourquoi, il est nécessaire qu’arrive une transformation plus profonde. Une organisation sociopolitique où la croissance et l’accumulation des richesses ne seraient pas les seules fins proposées à l’activité humaine. Injecter un petit peu de résonance dans un système mauvais ne suffit pas ! Il est temps d’aller bien plus loin, ce qui appelle des réformes politiques ambitieuses, et même un changement d’ère. 

 

Pour aller plus loin :

Prendre le temps comme forme de résistance ?

 

Source : 

Basé sur des propos recueillis et traduits par ALEXANDRE LACROIX

Résonance de HARTMUT ROSA

 

Une philosophie qui complète la reflexion, sur la profondeur de l’existance