Les différentes étapes d’une croissance idéologique

Dans les différentes étapes d’intégration d’une idéologie (spirituelle ou politique), les interactions entre l’individu et la société évoluent tels des processus de développement psychosociaux. Voici une analyse pour comprendre comment l’expérience d’une nouvelle vision personnelle évolue et change au fil du temps. 

 

S’appuyant sur divers travaux dans le domaine de la psychologie du développement, James Fowler affirme que le croyant traverse plusieurs phases de maturation spirituelle au cours de sa vie. À chaque étape, correspond un ensemble de moyens et de capacités que la personne possède sur le plan cognitif, émotionnel et moral pour « faire sens » des réalités spirituelles de son existence. Lorsqu’avec le temps, tous ces moyens ne suffisent plus pour « expliquer le monde », le défi consiste à découvrir les limites de ce que l’on a toujours cru pour construire un nouveau système de sens, prenant mieux en compte la complexité et les réalités de l’existence, ce qui permettra à la personne de franchir une nouvelle étape.

Les personnes cependant ne traversent pas toutes les étapes à la même vitesse ; une personne peut déjà se trouver à l’étape 5, tandis qu’une autre se trouvera encore à l’étape 4. On peut rester bloqué ou même s’arrêter définitivement à n’importe quelle étape.

Fowler explique notamment les forces, les limites et les pathologies possibles du fonctionnement de la foi (vision idéologique) propre à chaque étape. Son modèle ouvre ainsi des perspectives intéressantes en relation d’aide. La force principale de ce modèle, c’est d’améliorer notre capacité à entrer dans la perspective de l’autre et d’être « mieux dans la cible » avec notre empathie. Il relève toutefois que l’application de son modèle pour l’enseignement ne devrait pas servir à précipiter ou à encourager le franchissement des étapes de foi ; elle permet au contraire de rendre l’enseignement plus pertinent. La progression à proprement parler, au travers des étapes de la foi, doit être comprise plutôt comme le produit dérivé d’un bon enseignement.

Il faut rappeler pour terminer que tout modèle, même le plus parfait, s’il nous aide à orienter notre compréhension et notre action, ne prendra jamais en compte toute la richesse et la diversité de la nature humaine. De plus, après avoir analysé les différentes étapes, j’ai trouvé cela doublement intéressant car aussi juste et pertinent pour une personne découvrant la foi comme le pensait l’auteur, mais aussi pour une personne se lançant dans l’engagement politique. Alors voici les étapes franchies par une personne qui découvre et intègre une nouvelle vision qu’elle soit spirituelle ou politique.

 

Etape 1 : la vision indifférenciée

À ce stade, la réalité et la fantaisie se confondent facilement. À cette étape, la personne est imprégnée de manière forte et définitive par les images spirituelles (ou de son nouveau cadre de pensé), les exemples, les ambiances, les histoires et les actions, inculqués par les personnes qui lui ont fait découvrir ce nouvel univers.

Pour bien construire ce stade, il est important de créer un lien fort et sécure permettant d’établir un noyau narcissique (la personne se construit autour d’un nouveau cadre de pensée).

Les déviances possibles étant :

Un narcissisme excessif, une vision réductrice d’une idéologie en construction, un détachement et isolement face au reste « du monde », et une vision où l’être passe par le faire (ritualisation excessive).

Etape 2 : la vision qui s’approprie

La personne commence à comprendre ce nouveau cadre de manière plus logique. Elle absorbe les histoires racontées par sa communauté, tout en les comprenant encore de manière littérale. Une faible part de personnes ne dépasse jamais cette étape.

Pour bien construire ce stade, il est important de créer une vision opérationnelle faite d’imitation, et de questions qui nourrissent la réflexion et les engagements.

  Les déviances possibles étant :

Une vision construite sur des préjugés, sur des slogans et non sur une vision plus profonde (un message simple ne veut pas dire simpliste). Une vision sectaire qui crée une division dans les relations.

Etape 3 : la vision concrète

À ce moment-là, la personne est membre de plusieurs cercles sociaux et elle éprouve le besoin d’un système de croyance global. Mais elle est encore incapable de raisonner « hors de sa boîte » ; elle n’a pas encore conscience de raisonner entièrement depuis l’intérieur de son propre système de croyance. L’autorité dans sa nouvelle vision est détenue par des personnes ou des groupes qui représentent le système de croyance de l’individu. Une part importante de croyants ne dépasse jamais cette étape.

C’est l’époque où la personne se représente le monde et la réalité à l’image de deux rivières ou plus exactement d’un grand fleuve et d’une rivière plus petite : le grand fleuve représente l’humanité, avec son histoire, pollué, charriant de la boue, des poissons morts, bref un fleuve peu attrayant. C’est l’image du monde de son histoire, de ses égoïsmes, des guerres, des trahisons… Et elle pense que, découvrant cette nouvelle vision, elle a quitté ce fleuve pour entrer dans une petite rivière coulant parallèlement au fleuve. Elle est alors contente d’être sortie du fleuve pour cette belle rivière claire vivante et transparente. Une rivière qu’elle entend faire grandir par ses engagements, en transférant vers elle un peu du grand fleuve, en ayant bien filtré ce qui arrive. Elle arrive à imaginer qu’un jour la rivière sera aussi grande que le fleuve, voire le supplantera.

Pour bien construire ce stade il est important d’intérioriser : la vision structurelle, l’engagement de la communauté et d’être en accord avec cela.

  Les déviances possibles étant :

La mise en place d’un clivage dans cette vision / les autres. Et de fait, une exclusion voire une déprime.

Etape 4 : la vision qui conteste

À ce moment-là, la personne commence à réaliser qu’à côté de son propre système de croyance, il en existe d’autres. La personne commence à faire son examen critique de son propre système de croyance et se désillusionne de sa vision antérieure. Elle peut traverser une crise importante pour passer d’une vision « héritée » à une vision plus personnelle. Elle devient responsable de ses propres choix. Ironiquement, les personnes à l’étape 3 auront parfois l’impression que celles qui arrivent à l’étape 4 ont régressé dans leur engagement, alors qu’elles ont avancé en réalité.

C’est l’époque où la personne, par exemple, comprend que les autres ne peuvent être toujours tenus pour responsables de ce qui leur arrive ; que le manque de foi, d’engagement, de persévérance, n’est pas suffisant pour expliquer les difficultés rencontrées. L’édifice n’est peut-être pas aussi solide qu’elle le pensait. Elle découvre en fait que la vie, celle de tous les hommes et femmes, est toujours imparfaite, et qu’il ne saurait donc y avoir de rivière parfaite. Cette prise de conscience l’interroge sur les autres et sur elle-même. Elle commence à repérer dans sa rivière, qu’elle pensait si belle, des détritus, des déchets, et même des poissons morts qui ne devraient bien sûr pas être là. La personne comprend alors avec plus ou moins de brutalité, qu’en réalité il n’y a qu’un seul fleuve, celui de l’histoire, ce grand fleuve de l’humanité en marche vers son destin. Elle réalise qu’elle doit elle-même inscrire son histoire dans cette humanité, dans ce fleuve, et prendre sa place dans cette aventure. Elle réalise que cette petite rivière est en fait comme une histoire racontée aux enfants, un conte qu’elle portait. Certes, il s’agissait d’une étape nécessaire, utile à sa construction, qui l’a structurée et portée mais elle doit en sortir.

Pour bien construire ce stade, il est important d’interroger positivement nos acquis, pour construire un discours plus personnel qui passe par une déconstruction, un travail de deuil de sa vision précédente. 

  Les déviances possibles étant :

Une forme de Mysticisme narcissique (nommé parfois l’ego spirituel) une spiritualisation extrême des problèmes, une forte colère envers cette vision voire du nihilisme.

 Etape 5 : la vision personnelle

La personne y réalise les limites de la logique formelle et commence à s’ouvrir au paradoxe. Elle commence à considérer la vie comme un mystère ; il n’est pas rare qu’elle revienne à l’histoire fondatrice de sa vision, et aux symboles attachés ; mais cette fois, sans être prisonnière de son système d’interprétation.

Pour bien construire ce stade, il est important d’acquérir de la pensée paradoxale, de la réflexion à partir de questionnements sur ce qui semble opposé.

  Les déviances possibles étant :

Un relativisme excessif et sur tous les sujets : chacun sa vérité.

Etape 6 : la vision universalisante

Peu de gens accède à cette étape. Ceux qui y parviennent font l’expérience d’une vision réellement inclusive et vivent pleinement au service des autres, sans doute et sans inquiétude.

Pour bien construire ce stade, il est important de dépasser son propre cadre personnel pour adhérer et vivre les valeurs communes à toute l’humanité.

  Les déviances possibles étant :

Une forme d’universalisme qui supprime alors les singularités et la différence. Un syncrétisme qui mélange toutes les visions pour penser voir une forme d’unité universelle.

sources

POUJOL Jacques et FÉBRISSY Cosette, Les étapes du développement psychologique et spirituel