« Normal » : « qui est conforme à la norme, à l’état le plus fréquent, habituel ; qui est dépourvu de tout caractère exceptionnel. » La norme pousse donc au formatage et à l’effacement de toute singularité (de nos faiblesses, nos fragilités, nos richesses, nos qualités, tout ce qui fait que nous sommes nous). Une étiquette, peut être utile pour aider sur un certain point, elle montre une direction. Mais une direction n’étant pas un mur, il faut aussi savoir la dépasser pour aller plus loin, être critique de chaque étiquette que l’on nous met ou que l’on se met en se réduisant par exemple à un simple profil de réseau social (voir ici un article sur l’évolution des personnes en profil), pour être soi et voir l’autre tel qu’il est, et non pas s’arrêter à sa propre caricature.
La culture peut affecter notre compréhension de la santé mentale de multiples façons. L’existence de différences culturelles affecte le comportement des personnes. Car ce qui peut être considéré comme normal dans une culture (par exemple la modestie) peut être considéré comme déviant de la norme dans une autre (et qualifié, à la place, de phobie sociale). Un certain nombre de syndromes sont d’ailleurs spécifiques à une culture donnée. Par exemple, le terme de Hikikomori (surtout au Japon) décrit quant à lui les individus solitaires qui se retirent de la vie sociale. Ailleurs, le syndrome du mauvais œil (surtout dans les pays méditerranéens) consiste à croire que la jalousie ou le simple fait d’envoyer un regard noir à autrui peuvent causer des malheurs à celui qui en fait les frais.
En occident, le fonctionnement de la pensée rend compte de ce qui est perçu dans le réel, de manière catégorielle : les individus sont perçus à partir de leurs caractéristiques et de leurs propriétés personnelles. Cela conduit inéluctablement à des typologies, des « grilles de lecture » réductrices et normalisables. De telles classifications incitent à la création de hiérarchisations selon la valeur ou l’utilité de chaque caractéristique, rendant l’individu malléable et objectal (réduis à un objet).
Cependant, nous sommes des êtres complexes et fragiles. Vouloir supprimer la fragilité intrinsèque à l’homme en symbolisant celui-ci par sa seule partie du « je vais bien », basé sur l’acceptation implicite aux normes en vigueur, créer un monstre à la Frankenstein sans souffrance et sans manque ou la fragilité est un accident à réparer. Nous pouvons appeler l’être créé, un être modulaire : nous sommes réduits à une somme d’options, bonnes ou mauvaises à ajouter ou retirer selon les besoins. Au niveau psychique par exemple, nous pourrions voir le catalogue de ces modules via le DSM. Voir le nombre de personnes étiquetées hyper-sensible, qui augmente, car ayant une sensibilité trop expressive par apport à la norme en place. La réduction de l’être à des modules utiles et / ou accepté par la norme supprime de fait, toute la complexité du monde et de notre rapport à celui-ci. La multiplicité des visions est réduite à ce qui est utile ou bien dans le cadre accepté.
Le pas comme il faut sera soit un être trop proche de la nature (un sauvage), soit un être contre nature (un barbare). Dans les deux cas, individus et groupes seront étiquetés par apport à leur excès de visibilités (dans le sens de ce qui déborde du cadre). L’étiquette ainsi produite discipline des êtres jusqu’ici multiples et contradictoires, les rendant unidimensionnels.
La norme représente cette violence propre aux temps de paix, marquant la vie quotidienne par un élément central, la peur. La peur de sortir du cadre et de devoir, s’en justifier, l’assumer ou se retrouver exclus du cadre social. C’est là, une des angoisses les plus présentes actuellement. D’ailleurs en cas de débordement (en pratique inévitable à la vie) les autres étiquettes sont prêtes, celles des différentes figures du barbare inassimilable : fou, malade, terroriste, simple d’esprit, etc. C’est ainsi que la violence exercée par la norme n’établit pas des lignes de division entre « bien » et « mal », mais entre comportement normal et comportement pathologique ou « déviant ».
Cette tension psychique est très bien représentée dans la culture populaire qui a intégré ce malaise vis-à-vis des sensibilités extrêmes. Dans les Super-héros, le personnage de Hulk n’est rien d’autre qu’un scientifique (image du sérieux, en totale adéquation avec la norme) qui par un trop plein d’émotion se transforme et se retrouve à faire peur à tout le monde (Sa différence le fait sortir du cadre. Il en devient pour cela dangereux et destructeur). De plus, le personnage en question a honte de ce surplus de sentiments qui sommeille en lui (La honte… Ce sentiment de non-conformité sociale par excellence), parce que son émotivité est expressive et ne peut être caché / masqué socialement.
Lorsque nous réduisons une personne, à une étiquette pour tenter de la définir (Noir, handicapé, femme, ouvrier…) ce n’est pas à cause d’un manque d’information à recevoir face à ce groupe catégoriel (groupe minoritaire), mais à une perception saturée de la norme de notre cadre culturel (Communauté, pays, sexe….) dans notre corps (ressenti, expérience). De ce fait, ce n’est qu’en complexifiant sa perception, en modifiant son rapport au monde à travers des pratiques que la perception pourra évoluer. Puis de là, intégrer la connaissance de ce qu’il a de commun entre lui et l’autre, via leur participation commune à une situation, à une expérience. En reconnaissant cette perception saturée de la norme, nous cessons d’avoir sur cette perception un point de vue moralisant, qui nous place au niveau de la bonne conscience, sans aucun effet concret sur cette perception.
Il est évident que la culture joue un rôle dans la façon dont nous nous percevons nous-mêmes et dont nous sommes perçus par les autres – pour l’instant, nous avons à peine commencé à explorer ce champ de connaissances. Ce domaine, connu sous le nom de « psychologie interculturelle comparative », est de plus en plus enseigné dans les universités du monde entier. La question est de savoir dans quelle mesure elle changera la psychologie telle que nous la connaissons aujourd’hui, ainsi que notre rapport à la norme et à ce qui est vue comme déviant. Certains considèrent en effet ce domaine comme une dimension supplémentaire, tandis que d’autres y voient comme un élément central de l’élaboration de la théorie en psychologie. En poussant plus loin nos investigations dans cette direction, nous pourrions bien constater que les différences culturelles s’étendent à de nombreux autres domaines dans lesquels le comportement humain était auparavant considéré comme universel.
Notes pour aller plus loin :
– Éloge du conflit de Miguel Benasayag et Angelique del Rey (sur la place de débat et de la pensée uniformisante.)