La culture occidentale à l’ère de la raison pratico-formelle (une vision mécaniste)

La vision mécaniste du monde est un savant mélange de scientisme, et de rationnel pratico-formel. Explication : 

Le Rationnalisme est l’ensemble des facultés intellectuelles considérées du point de vue de leur état et de leur usage par rapport à la norme. Il faut donc savoir que le rationnel est une notion totalement culturelle. (Voir ici un article sur ce qu’est la norme de nos jours

Un panda, un singe et une banane. D’après vous, dans cette liste, quels éléments font la paire  ? Les répondants des pays occidentaux choisissent couramment le singe et le panda, parce que les deux sont des animaux. Il s’agit d’un style de pensée analytique, dans lequel les objets sont perçus indépendamment de leur contexte. En revanche, les participants des pays orientaux choisissent souvent le singe et la banane, parce que ces objets appartiennent au même environnement et partagent une relation (les singes mangent des bananes). Il s’agit d’un style de pensée holistique, dans lequel l’objet et le contexte sont perçus comme étant interconnectés.

Si on vous demandait de vous décrire, que diriez-vous ? Vous décririez-vous en termes de caractéristiques personnelles – intelligence, humour – ou mentionneriez-vous des préférences, comme « J’adore la pizza » ? Ou peut-être seriez-vous plus enclin à parler de votre position sociale, en disant « J’ai un enfant » ? Les psychologues sociaux soutiennent depuis longtemps que les gens sont beaucoup plus susceptibles de se décrire et de décrire les autres en termes de caractéristiques personnelles stables. Cependant, la façon dont les gens se décrivent semble étroitement liée à leur culture. Les individus du monde occidental sont en effet plus susceptibles de se considérer comme des individus libres, autonomes et uniques, possédant un ensemble de caractéristiques fixes. Mais dans de nombreuses autres parties du monde, les gens se décrivent avant tout comme faisant partie intégrante de différentes relations sociales et fortement liés les uns aux autres. Ce phénomène est plus répandu en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Ces différences sont liées à d’autres façons d’aborder les relations sociales, la motivation et l’éducation.

Un autre exemple avec la nature, selon notre culture, on peut faire  comme distinctions naturelles : un savoir des plantes, un savoir des animaux, un savoir des astres, etc. Mais dans une toute autre culture, ses critères n’auront aucune forme de logique et pourront paraître totalement irrationnel, préférant mélanger science et ce que l’on nomme magie pour décrire la nature. Le problème étant qu’une fois le cadre posé et dit comme scientifique en lien avec nos normes, ces savoirs apparaissent tout à fait naturels : cf savoir spécifique : zoologie, botanique, astronomie. Ce qui entraîne une volonté de retranscrire notre cadre dans les autres sociétés, parce que logique pour nous : basé sur une ethnoscience (« L’ethnoscience pose la communication dans une perspective sociale : les individus agissent dans un cadre normalisé selon des règles et des conventions qui sont socio-culturellement bien définies » Jean Caelen).

 

Répercussion sociale de la pensée postmoderne : 

Pour le libéralisme expliqué par Adams Smith “la société est l’espace à l’intérieur duquel se déploient de manière autonome les mouvements des actions individuelles, où chaque partie s’accomplit conformément à ses propres fins, la liberté sans autre intention.”
Si nous admettons que tout Homme est déterminé par sa nature à ne rechercher que ce qui lui est utile, alors l’échange économique devient l’exemple le plus net d’une relation humaine rationnelle. Puisque chaque participant, au terme d’une négociation supposée pacifique, finit toujours par y trouver son compte. Une fois fait table rase de son absurde passé, la société ne pourra que devenir progressivement pacifique, prospère et heureuse. La vision mécaniste, fortement basée sur l’humanisme des lumières est fondée sur une mystique de « l’an 01 » un film qui retranscrit le rêve d’un changement rapide et profond de la société vers une forme d’utopie. Cela entraîne de fait une marchandisation des relations humaines, en réduisant l’Homme à une transaction

 

Notre société postmoderne à évolué dans une forme spécifique de rationalisme : le rationnel pratico-formel

Notre organisation sociale est parvenue à transgresser notre principe républicain d’élaboration des Lois en « confisquant » le pouvoir démocratique et les débats citoyens au profit de l’adoption de normes édictées par les impératifs de la « religion du marché » (Pier Paolo Pasolini cité par Roland Gori.). Autrement dit : comment notre système institutionnel a pu « glisser », en à peine quelques décennies, d’un ancien régime centré sur la Loi adoptée démocratiquement à une société gestionnaire centrée sur des normes édictées par des « experts » à la solde de la propagande capitalistes. Cette évolution est nommé par Roland Gori : la rationalité pratico-formelle. Ce type de rationalité pratique, qui émane d’une civilisation des mœurs telle que Max Weber a pu en faire l’analyse dans plusieurs de ses essais, n’est rien d’autre que la primauté de la forme sur le fond, de la quantité sur la qualité, de l’individualité sur l’intérêt général, des apparences sur la performance, de la réputation sur le travail, de la popularité sur le mérite, de l’opinion sur les valeurs, etc. telles que façonnées par les normes, les évaluations, les sondages, les statistiques, etc.

 

La « folie de l’évaluation », qui prétend tout mesurer, tout « quantifier », et produit du conformisme et du faux-semblant.

L’évaluation fait partie de nos vies quotidiennes. On évalue en permanence, quand on va au restaurant, au cinéma, etc. Le problème vient des nouvelles formes sociales de l’évaluation, qui se prétendent objectives alors qu’elles sont simplement formelles et procédurales.

Prenez le facteur d’impact (ou, en anglais, l’impact factor). Cette expression renvoie au taux de citation d’une revue et c’est devenu un critère essentiel d’évaluation de la recherche scientifique. Cela signifie que plus une revue a des auteurs cités, plus elle a un indice de popularité élevé. À partir de là, plus on publie dans ce type de revue, plus on est évalué comme un bon auteur. On confond valeur et opinion. C’est une politique de la marque, de l’Audimat et du spectacle qui fait de l’article une marchandise comme une autre. Ce type d’évaluation quantitative et spectaculaire prend modèle sur la notation en cours sur les marchés financiers.

Les évaluations des chercheurs, celle des enfants de maternelle, celle des équipes hospitalières, du travail social, de l’enseignement, etc. sont établies sur la même base que la notation des agences du même nom. Il s’agit d’émettre une opinion à partir d’un certain nombre d’indicateurs construits à partir des comportements passés. Cette manière d’entrer dans l’avenir à reculons, d’anticiper le futur à partir des logiciels du passé, se généralise à l’ensemble des évaluations sociales. En psychiatrie, cela s’appelle la « méthode actuarielle », qui consiste à évaluer les risques de récidives de comportements déviants de la même manière que les agences de notation définissent les risques encourus lors des placements financiers. C’est la même méthode à tous les étages du social, au risque là encore de produire ce que l’on annonce et de réaliser une prophétie autoréalisatrice.

L’évaluation est par essence ségrégative : elle produit des classements d’individus, elle désigne les meilleurs et stigmatise implicitement les autres. Elle instaure une compétition permanente entre les institutions, les équipes, les chercheurs et les professionnels. Elle porte ainsi atteinte au lien social en constituant comme concurrents et rivaux potentiels ceux qui devraient s’éprouver comme solidaires. 

 

la « démocratie dexpertise et dopinion »…

 Le problème, ce n’est pas les chiffres, mais le fait qu’on nous assène des chiffres pour désamorcer par avance la possibilité même du débat. La démocratie d’expertise et d’opinion renvoie à cette confiscation systématique de nos possibilités de penser, de débattre. On veut nous faire taire en nous subordonnant aux donneurs de chiffres. De plus en plus, nous nous mettons à croire aux chiffres comme hier en l’animisme ou aux prophéties millénaristes.

Le coût humain de l’évaluation est lourd : non seulement celle-ci accroît les charges de travail de l’évalué et l’incite à faire toujours plus, mais elle est aussi fondamentalement suspicieuse envers lui. Les activités humaines ont toujours fait l’objet d’une évaluation spontanée, reposant a priori sur une confiance accordée aux institutions et aux professionnels. L’évaluation méthodique commence par retirer cette confiance. Elle instaure une surveillance des évalués, qui augmente avec l’exigence : elle n’a pas à justifier sa foncière suspicion puisqu’elle est inhérente à son fonctionnement.

Notre culture dominée par la rationalité pratico-formelle porte une forme d’utilitarisme le plus cynique, propre à favoriser toutes les dérives. Il y a des domaines de connaissance et d’action où les ravages de ces dispositifs sont limités, voire quasiment sans conséquences, et d’autres où ils sont terrifiants car la rationalité pratico-formelle est incompatible avec la finalité spécifique des métiers auxquels elle s’impose : notamment le soin, l’éducation, la justice, le travail social, la recherche, la culture etc. Comme l’écrit Pasolini : « le véritable fascisme est celui qui s’en prend aux valeurs, aux âmes, aux langages, aux gestes, aux corps du peuple, et qui mène, sans bourreaux ni exécutions de masse, à la suppression de larges portions de la société elle-même. »

 

 

Pour aller plus loin : 

  • L’occidentalisation du monde de Serge Latouche
  • L’esprit des lumières de Tzvetan Todorv
  • Les pathologies de la démocratie de Cyntia Fleury
  • La dynamique de l’Occident de Norbert Elias
  • La folie évaluation, les nouvelles fabriques de la servitude de  Roland Gori et Marie-Jean Sauret
  • La tyrannie de l’évaluation de Angélique DEL REY

Un article :