Reconnaître le fascisme

Le fascisme : A-t-on négligé sa réapparition potentielle en se conformant à une définition rigoureuse basée sur un type de pureté d’alliage ? Et, alors, l’aveuglement serait-il associé à l’incapacité d’envisager une forme de fascisme qui se serait manifestement réactivée dans le climat actuel ?

Parmi ceux qui revendiquent aujourd’hui l’usage du mot, on trouve des auteurs qui déplorent que les historiens, spécialistes de l’Italie fasciste justement, ont longtemps joué les douaniers zélés. C’est-à-dire qu’on se sera aveuglé sur la réalité d’une menace fasciste contemporaine à trop borner le terme. Autrement dit, l’interprétation de l’actuelle menace fasciste sera trop restreinte. Le concept de l’impensé ne se limite pas aux tabous ou au déni, mais englobe aussi la portée.  Eux pointent, par exemple, la nécessité de penser ensemble, et à bonne distance de Mussolini :

  • la xénophobie
  • la tentation de l’ordre
  • la désillusion des mondes ouvriers
  • ou encore une désagrégation de l’État Providence.

 

Le retour récent d’un certain terme “fascisme” au cœur du débat public intervient sur cet arrière-fond. Le point commun de ces travaux est de s’interroger sur la sève d’un fascisme des années 2020. Une entreprise intellectuelle qui passe par un prérequis : envisager un fascisme à la française. Or la chose implique de considérer qu’historiquement, la vie politique française n’a pas été à l’abri de poussées fascistes.

Depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui, ceux qui s’inscrivent dans cette démarche revendiquent moins d’étudier le fascisme comme épisode historique que d’ausculter le présent à l’aune, par exemple :

  • d’un effort pour penser l’injonction au moindre mal sous la forme d’un vote utile destiné à faire barrage à l’extrême-droite faute d’alternative ;
  • d’un regard sur l’État social qui recule (le pré-fascisme féconde sur l’idée que “la fête est finie”, écrit Michaël Foessel dans Récidive, le temps d’un aller-retour entre les cendres du Front populaire dont Daladier puis Vichy détricoteront à la hâte bien des conquêtes, et notre actualité économique et sociale où l’on voit fondre les acquis “Trente glorieuses”) ;
  • ou encore, d’une réflexion sur la post-vérité et son lien avec le poids électoral de l’extrême-droite – et justement c’est George Orwell, penseur aussi précoce qu’hétérodoxe du fascisme, qui fut l’un des grands visionnaires en matière de post-vérité.

(idée qu’on peut associer ou rapprocher du réseau Atlas voir une vidéo sur le sujet ici)

 

Une petite intro en vidéo pour comprendre le fascisme d’un point de vue des sciences politiques

 

En 1995, Umberto Eco, sémiologue qui a grandi sous Mussolini, publie « Reconnaître le fascisme ». Vision qui rappelle la complexité du danger, plutôt que d’offrir une définition monolithique.

Dans cet article, il présente une liste de 14 caractéristiques et éléments discursifs qui sont des indices préliminaires du fascisme. Il s’agit d’un essai, d’environ 50 pages, dans lequel il raconte son enfance dans une Italie fasciste, puis libérée. Il présente en particulier les 14 caractéristiques de ce qu’il nomme l’Ur-fascisme, le cœur central, les similitudes avec tous les fascismes. Ils ne remplissent pas forcément les mêmes critères et n’ont même parfois rien en commun, mais cela permet de répondre à la question qui se pose à l’introduction de son essai : Pourquoi est-ce que tout le monde parle de fascisme ?

Je laisse chacun se faire son avis sur quelle personnalité ou partie politique se rapproche des cases en question :

On voit bien que certains de ces points s’imbriquent logiquement. Bien sûr, chacun n’est pas exclusif au fascisme, les victimes du stalinisme ont par exemple bien connu le point 4 (désaccord = trahison, voir d’ailleurs à ce propos le  « concept » de Schizophrénie torpide). D’ailleurs, dans le texte entier, Eco différencie bien fascisme et totalitarisme, le stalinisme relevant du second terme bien plus que du premier.

En complément, un peu plus d’éléments après les 14 points auxquels on résume souvent le texte :

Le premier élément important à comprendre, selon lui, est que s’il faut attendre de revoir Mussolini ou Hitler à l’identique pour parler de fascisme, alors oui, on peut arrêter de chercher…

Le second élément, lié au premier, est que le fascisme est multiple, parce qu’il est une « désarticulation politique et idéologique ordonnée », opportuniste, un patchwork d’idées avec une cohérence très relative (p25, p31)
Dont le fascisme italien, le nazisme, le phalangisme, l’austrofascisme, le rexisme, etcétéra, sont des déclinaisons, qui partagent un « air de famille » sans pour autant être parfaitement identiques.

C’est pour ça que les 14 caractéristiques typiques qu’il liste sont celles de ce qu’il appelle l’« Ur-fascisme », c’est-à-dire le « fascisme primitif et éternel », la matrice originelle des différentes manifestations du fascisme. Pour finir, il y a bien sûr des critiques à faire au texte.
Par exemple,  quand il dit p22 que le fascisme n’était pas complètement totalitaire parce que son idéologie n’était pas un corpus totalement cohérent, il me semble que par totalitaire, on entend plutôt un contrôle total sur tous les aspects de la société.

 

Pour approfondir la question du totalitarisme, voici une playlist philosophique qui creuse la question à partir des travaux d’Hannah Arendt.

 

Source : François Malaussena

Vous pouvez trouver le texte d’Umberto Eco en entier ici : 

 

 

Pour aller plus loin : 

 

F. Lordon nous parle du fascisme comme principe de réalité ici 

 

Une playlist qui analyse à partir d’études en psychologie sociale la question de l’autoritarisme. 

 

Un peu d’histoire sur la question : le fascisme vient-il de la gauche ?