repenser l’autorité : entre une vision positive et son penchant néfaste

L’autorité est nécessaire, tant pour l’enfant que pour toute la famille, tout groupe humain ; sans elle, il y a désordre et confusion; L’autorité se présente comme une pédagogie de la liberté et comme le signe de l’amour du prochain.

 

Comme l’explique Michel Serres, dans la langue française, le mot “autorité” vient du latin “auctoritas”, dont la racine se rattache au même groupe que “augere “, qui signifie “augmenter”. La morale humaine valorise l’autorité, celui qui sur moi règne doit bien me cultiver, enrichir mes savoirs, bonheur et sûreté, c’est une fonction noble, celle de croître et d’aimer. La vraie autorité grandit autrui sans cesse, et le terme “auteur” de ce sens est le reste. Comme auteur, je réponds de ce que j’ai écrit, si mon livre est bon, il vous enrichit. Un bon auteur élève ses lecteurs, en effet. L’autorité devrait ainsi amener à un ordre juste, celui qui résulte des lois de la vie. Une autorité bien situé, bienfaisante pour tous ne doit être ni arbitraire, ni despotique, ni étroite, ni légaliste ; elle doit respecter la liberté, la responsabilité de l’autre, sa participation, ses droits essentiels. Celui qui l’exerce doit servir et non se servir. 

Il importe de savoir discerner, distinguer une autorité bien située et un abus de pouvoir. Demeurer sous l’emprise d’un être humain ou se soumettre à un abus de pouvoir est le signe d’une fausse obéissance, d’une aliénation de notre liberté. D’autre part, refuser l’asservissement ne veut pas dire n’obéir à personne, vivre dan une totale indépendance. Obéir a un sens très profond, un fondement tout à fait philosophique, essentiel à la vie de l’être humain, à son évolution. Obéir est d’abord le lieu de l’écoute : c’est “se mettre sous” pour tendre l’oreille, écouter. Obéir, c’est adhérer à la lumière, la leçon reçue, la mettre en pratique. 

Beaucoup ont connu une autorité abusive, tyrannique, exercée hors de son véritable sens, et obéissent de façon infantile, puérile, dans la révolte ou la colère. Il arrive fréquemment de vivre à l’âge adulte dans la peur du pouvoir de l’autre sur soi, dans la menace de l’asservissement, dan a crainte d’affronter un conflit, dans la peur des représailles.

Il faut aussi savoir discerner l’abus de pouvoir exercé par des personnes qui se disent fragiles et qui imposent finalement leur domination sur une relation, sur une famille entière ou sur une communauté : c’est le pouvoir des faibles, souvent tyrannique. Il est alors essentiel de sortir d’une fausse compassion qui peut entraîner de profondes perturbations dans la relation. Il peut également y avoir abus de pouvoir dans une forme de surprotection qui peut emprisonner l’autre.

 

Le refus d’autorité entre en résonnance avec une idée profondément moderne : le génie. 

Le génie ne peut être à la fois hérité et testamentaire. Il prétend être venu de nulle part tel un feu follet et une fois qu’il aura traversé, les suivants seront réduits à une taille limitée en attendant le suivant. Avec le génie, on se trouve dans une véritable énigme métaphysique. Cependant, nous négligeons ici l’importance de comprendre les mécanismes à l’œuvre dans la désignation d’un tel ou d’une telle chose. Je souhaite voir émerger une société où les notions de génie et de spectateurs (l’être humain qui ne peut se comparer au génie) sont remplacés par celles de maître et de disciples, comme des corps intermédiaires de l’art où il existe quelqu’un qui possède une compétence spécifique et qui est heureux de te voir l’imiter. Précisément parce qu’il t’a offert les moyens d’apprendre, de progresser et ensuite d’y apporter ta propre touche unique.

La distinction entre un professeur et un maître réside dans le fait qu’un maître forme un disciple tandis qu’un professeur forme un élève. Le professeur est un membre d’une institution tandis que le maître est un membre d’une tradition. Le maître désigne ce que son maître lui a enseigné et ce que sa propre expérience spirituelle, si je peux dire, lui a permis de transformer. Le professeur fait référence à un manuel d’enseignement. En d’autres termes, l’interaction entre un maître et un disciple se déroule de manière émotionnelle, différente de celle entre un professeur et un élève. Le disciple imite son maître dans le but tacite de le surpasser, tandis que l’élève demande à son professeur les informations qu’il peut lui apprendre pour réussir professionnellement.

Remarque :

Il est possible que ces divergences engendrent le concept même de plagiat ou de propriété intellectuelle. Le plagiat est étroitement lié à l’idée même de génie et donc à une population qui se divise en deux : les créateurs et le public.

La propriété intellectuelle, du point de vue philosophique, peut susciter des interrogations : ce n’est pas parce que quelque chose provient de toi qu’une fois mise en public, elle n’appartient qu’à toi. Il n’est tout de même pas anodin de dire que ce texte m’appartient et que personne d’autre n’a le droit de le répéter sans avouer que c’est moi qui l’ai créé. Cela est bien évident pour tout ce qui relève de l’observation. Il serait parfaitement légitime de dire qu’une fois qu’un texte a été écrit, il devrait être intégré au domaine public sans qu’on ait besoin d’attendre de nombreuses années.

Et puis, existe-t-il réellement un créateur de quoi que ce soit, ou devrait-on permettre à chacun de se réapproprier ce qu’il souhaite ? Une idée possède de nombreux parents et ne se développe pas en un seul instant. Elle se manifeste à mesure que les reprises sont modifiées jusqu’à prendre un aspect totalement différent. Les idées flottent dans l’air et elles appartiennent à chacun. Il est possible de modifier l’idée afin de ne plus entièrement ressembler à la version initiale, même si l’essence reste présente. C’est de cette manière que l’idée se transforme, se construit pour passer peu à peu d’une idée A à une idée B. Le concept du plagiat est nouveau, il affirme que la création serait le fait d’une seule personne.

L’idée de propriété intellectuelle n’avait pas réellement de sens au Moyen Âge, en tout cas dans le domaine littéraire, dans les vieux manuscrits, tout le monde ajoute sa nuance, c’est de l’écriture collective. Quel est le nombre d’auteurs du roman de Renart? Une trentaine d’auteurs reprennent indéfiniment les mêmes citations en utilisant leur adage : novaset novaes. En d’autres termes, le nom du nouveau, mais de manière différente.

Lors de la renaissance, on s’inspire facilement des anciens, ce qui est un signe de qualité et c’est pourquoi Montaigne s’en vante à tout moment. On progresse un peu dans le temps, le classicisme consiste à encourager la copie de ce que l’on fait, en particulier en latin classique. Par exemple, Molière prend des extraits ici et là et les adapte à sa propre manière, « qu’allait-il faire dans cette galère » Vient de Cyrano de Bergerac vingt ans plus tôt. Même racine le classique par excellence où des pans entiers de ses pièces ne sont que des traductions élégante de vieilles pièces d’Euripide.

Dans notre société, la culture est principalement perçue comme un spectacle avec des acteurs et des spectateurs. La musique se déroule en concert, l’humour se déroule sur scène, la peinture se déroule au musée, les vieilles étoffes sont exposées sous verre et accrochées au mur, mais la culture en tant que spectacle te place dans la position du consommateur de ce qu’une personne a produit, ce qui ne peut pas être ressenti. Il ne faut pas confondre créateur.e et specteur.e. La crainte du plagiaire est puissante, elle s’inscrit dans un monde où il existe des personnes qui font et des personnes qui regardent, et le travail des regardeurs consiste à veiller à ce que les bons faiseurs soient vénérés. Elle se fondra toujours sur un mensonge parce qu’elle individualise la création.

 

Enfin, l’idée même de génie peut souvent être le reflet d’un surmoi mal situé. En chacun vit ce qu’on appelle en psychologie le surmoi où se trouve centralisé, rassemblé, tout ce qui est connu de l’autorité, de la loi.

Si nous avons intégré intérieurement d’un côté : ce qui a été vécu dans la relation d’autorité abusive, dominatrice, si le problème d’emprise n’a pas été réglé, ce surmoi peut à son tour devenir abusif, avoir des exigences démesurées, devenir un véritable “gendarme intérieur”. Nous sommes comme devant un tribunal qui épie, juge, accuse, condamne. Si de l’autre côté, nous avons intégrer la culture de la starification, de l’ultralibéralisme où chaque personne se fait elle-même seule et autonome, alors la figure d’autorité, du maître, sera vu comme la personne qui veut limiter, restreindre notre propre singularité qui me permettrait peut-être de devenir le futur génie de notre époque. 

 

études complémentaire pour approfondir l’autoritarisme : 

L’esprit ouvert et fermé: enquêtes sur la nature des systèmes de croyances et des systèmes de personnalité. (apa.org)

Un profil psychopolitique des militants des partis et des extrémistes de gauche et de droite – VAN HIEL – 2012 – Revue européenne de recherche politique – Wiley Online Library

The Psychology of Politics – Google Livres