Populisme, démocratie et souveraineté populaire

Le populisme est une notion omniprésente dans le débat public contemporain, souvent invoquée pour désigner des mouvements politiques aussi variés que contrastés. Mais qu’entend-on exactement par populisme ? À travers les travaux du philosophe et historien des idées Philippe Portier, il est possible d’en dégager une compréhension plus fine et nuancée.

 

Une définition du populisme

Philippe Portier inscrit son analyse du populisme dans une réflexion plus large sur la démocratie et la souveraineté populaire. Le populisme, qui peut être vu comme une réaction à la crise des structures politique présenté par Balandier (que vous trouverez ici),  se caractérise par une tension fondamentale entre le peuple et les élites, tension qui se traduit par une contestation du système représentatif et une aspiration à une démocratie plus directe. Cette approche permet d’insister sur l’ambivalence du populisme : s’il constitue une critique légitime des insuffisances des démocraties libérales, il peut aussi mener à des formes d’autoritarisme déguisé.

Portier met en avant deux dimensions essentielles du populisme. D’une part, une rhétorique de l’opposition entre un peuple prétendument pur et homogène, et des élites corrompues et déconnectées. D’autre part, une volonté d’incarner directement la volonté populaire, ce qui peut conduire à une remise en cause des institutions intermédiaires et des contre-pouvoirs.

 

Populisme et crise de la représentation

L’analyse de Portier s’inscrit dans une tradition philosophique qui interroge la légitimité et les limites du système représentatif. Selon lui, le populisme naît d’un sentiment de dépossession politique : le peuple a l’impression que son pouvoir est confisqué par des élites technocratiques ou économiques. Ce phénomène est accentué par la globalisation et la complexification des mécanismes de gouvernance, qui rendent les décisions politiques moins lisibles et plus éloignées des citoyens. Le populisme oppose un « peuple authentique » à des élites jugées corrompues ou déconnectées. Il s’appuie sur une rhétorique qui valorise la démocratie directe et rejette les médiations institutionnelles, telles que les partis politiques traditionnels ou les corps intermédiaires. Portier souligne que cette volonté d’immédiateté dans la relation entre le peuple et le pouvoir transforme en profondeur la démocratie contemporaine.

(vous trouverez ici un article qui analyse le sentiment de destruction du commun dans la société)

Portier rejoint ici des penseurs comme Pierre Rosanvallon, qui montrent comment la démocratie contemporaine est marquée par une défiance croissante à l’égard des représentants politiques. Le populisme apparaît alors comme une tentative de reconquête de la souveraineté populaire, mais au prix d’une simplification souvent excessive des enjeux politiques.

Le populisme, en poussant à une remise en cause des institutions traditionnelles, peut être vu sous deux angles :

  • D’un côté, il exprime une aspiration à une démocratie plus participative, où le peuple joue un rôle plus actif dans la prise de décision.
  • De l’autre, il peut mener à une concentration du pouvoir entre les mains d’un leader charismatique qui prétend incarner directement la volonté populaire.

Portier insiste sur cette ambivalence. Si le populisme constitue une critique légitime des lacunes de la démocratie représentative, il peut également aboutir à une dérive autoritaire, où les contre-pouvoirs sont affaiblis au nom de la souveraineté populaire.

 

Pourquoi le populisme s’oppose aux élites ? sur quel fondement ?

Repenser la Nation de deux manières différentes. 

Le Parti socialiste dans son entier à partir de la fin des années 70 déjà ne cesse de parler du concept d’identité nationale. Le concept est dans les textes de manière massive dans le Parti socialiste dans ces années fin des années 70 début des années 80. Simplement l’identité nationale se pense alors à partir d’une conception élective de la nation. Faire nation c’est nous associer nous tous dans nos différences dans nos souverainetés subjectives pour construire un commun sur le fondement de nos arguments partagés, sur ce que nous considérons être comme le meilleur des vivre ensemble. Quand on définit la nation de ce point de vue, on est en phase avec une conception délibérative de l’existence politique. Je nous considère nous tous, comme des individus libres responsables capable d’un raisonnement argumenter, et c’est à partir de cela que je construis la décision politique.

A l’inverse, dans le populisme, il y a toujours avant la décision politique, un principe qui détermine la nation qu’on pourrait appeler une conception culturaliste une conception substantialiste de la nation, suivant laquelle faire nation, c’est partager la même histoire la même culture la même façon d’habiter le monde. Ce qui compte pour un populiste c’est de rassembler le peuple sous la tutelle sous l’égide d’un principe de vie venu du passé, un passé souvent imaginé, qu’on doit retrouver, face à la globalisation du monde dans la société contemporaine.

En cela la vision populiste n’est pas à fusionner avec une vision construite sur une religion intégré. Il y a là une grande différence avec le pôle de personnes religieuse qui sont des croyants, intenses fervent dont on peut ne pas partager les thèses si on est un libéral moderne, mais c’est une vision structurellement habiter par un rapport intime à Dieu. Du côté des mouvements populistes le rapport à Dieu est souvent évanescent, éphémère, ce qui compte c’est le rapport à une culture qu’on renvoie au passé d’une nation. Souvent un passé reconstruit imaginer figé dans l’éternité d’un temps qui n’évoluerait pas. Ces mondes populistes ne sont pas éloignés du religieux, mais c’est pas le religieux du pape François voir du pape Benoît 16, c’est un religieux reconstruit par le parti lui-même, c’est un religieux culturalisé et non pas spiritualisé. Un religieux culturalisé fondé sur un principe clé qui est, pour ce qui concerne l’Europe dans son ensemble, celui des fameuses racines chrétiennes. La racine chrétienne sert ici à définir une culture nationale : qu’est-ce qui fait la France c’est une façon de manger, c’est une certaine façon de s’habiller (tous les débats sur le voile : est-il un choix personnel qui va à l’encontre de la culture nationale comme le dit l’extrême droite). En décembre 2009 en Suisse, un référendum donne le résultat suivant : pas de minaret en Suisse, la raison invoqué renvoie à l’idée d’une culturalisation des paysages. Culturalisation des façons de manger, culturalisation des façons de s’habiller, culturalisation des façons d’aménager notre propre géographie, on sent bien qu’il y a là, à partir du thème des racines chrétiennes, la possibilité de fonder une opposition aux élites mondialisées, ces élites qui comme cet homme d’affaires qui aurait voulu être un artiste, et qui habite dans tous les Hilton de la Terre dans Starmania. La racine chrétienne devient un outils pour rejeter ces hommes d’affaires qui dirige le monde en lien avec des élites politiques souvent cosmopolites qui passent d’un pays à l’autre de Davos à New York.

 

un replis sur soi, comme réaction à une société archipélisée.

 Cette société oppose les non croyants et les croyants les sans religions et les religions et à l’intérieur des religions les chrétiens et les musulmans. Par exemple peut-on admettre que des populations venues de l’étranger puissent s’installer en France quand ces populations d’installation et non plus simplement de travail, adopte des modes de vie qui tranchent avec ce que nous considérons être la culture de notre nation ? voyez que le thème du religieux est évoqué ici pour construire un univers contre la conception élective de la nation, un univers contre la conception altruiste de l’hospitalité. Le religieux là n’intervient pas comme force spirituelle, il intervient davantage dans les mouvements populiste comme structure de fermeture de l’espace national. Démarche populiste qu’on retrouve en Europe autant à l’AFD, que du côté du RN, de l’UDC en Suisse, de Mélonie en Italie, d’Orban  etc…. Vision, qui a des effets même quand ils ne sont pas au pouvoir, ça a des effets sur notre façon d’articuler institutionnellement le religieux et le politique l’État et les églises l’État et les forces religieuses dans nos sociétés.

Il y a eu au cours des 20 dernières années dans tous les pays européens une dérive qui est une dérive marquée en effet par le souci de réaffirmer une certaine distance entre « nous » et les autres, à travers un certain nombre de lois qui sont venu soumettre les libertés religieuses par voie de conséquence la liberté d’une partie musulmane de nos nations à des dispositifs de surveillance à des dispositifs de contrôle qui n’existait pas dans les législations laïques antérieure. Nos systèmes de laïcité en Europe sont des systèmes marqués de plus en plus par des processus sécuritaires, par des processus ou des dispositifs de contrôle qui n’existait pas auparavant. Tout cela nous renvoie peut-être à cette idée que même si les populismes ne sont pas au pouvoir ils peuvent avoir des effets par leur discours mais au-delà de leur propre discours par la configuration du social qu’ils inspirent.  

On retrouve cette division entre nous et les autres pour reprendre les propos de Michel Feher dans le concept de « produciérisme », la population est divisé en 2 idéaux types (2 profils de personnes) les producteurs et les parasites. 

  • les producteurs : ils sont imaginés, ou ils s’imaginent ne vivre que du produit de leur labeur ; c’est leur travail qui serait source de la prospérité nationale, laquelle découlerait de la somme de leurs efforts individuels, leurs investissements et leurs impôts. Les producteurs adoptent la valeur-travail
  • des parasites : ils sont, eux, supposés réfractaires à la valeur-travail, ne feraient rien d’utile et s’accapareraient la richesse créée par d’autres. Ils seraient par exemple des spéculateurs, des capitalistes transnationaux exploitant à leur profit le capital financier ou culturel des Français ou captant illégitimement une part de la redistribution des revenus. Toujours selon Feher, quand cet imaginaire a glissé vers les idéologies de droite, cette catégorie des parasites s’est scindée en deux sous-catégories :
    • les parasites d’en haut, qui font circuler les capitaux : spéculateurs, prêteurs et certains intellectuels,
    • les parasites d’en bas : les assistés, accusés de vivre de la redistribution de revenus qu’ils n’ont pas contribué à produire.

 

Comment faire de l’unité à partir d’une telle diversité à partir d’une telle hétérogénéité ?

 

Du point de vue des acteurs politique

Vous remarquerez qu’il y a, de plus en plus un consensus les lois laïques récentes qui vise précisément, à tenter de répondre à la question du commun.  Ses lois se sont structurées autour d’un concept, d’une notion qui depuis les années 1990, avec une accélération dans les années 2000, marque pour beaucoup la délibération collective, cette notion : c’est valeur de la République. Valeur de la République l’expression, n’existe pas dans les textes de Brillant de Jaures sous la 3e république. Elle commence à exister en France dans les années 1990, on en trouve quelques attestation déjà dans les années 80 en particulier du côté de Jean-Pierre chevenement. Le 17 décembre 2003 Jacques Chirac prend la parole il reçoit alors un rapport qu’on appelle le rapport stasie sur en gros, les signes religieux à l’école publique, le rapport est plus large mais retenons cela. A 18 reprises dans ce discours, le président Chirac utilise l’expression valeur de la République.

Cette évolution renvoie à l’idée que notre délibération collective ne doit pas être structurée simplement par des principes juridiques. Aujourd’hui nos gouvernants disent le plus souvent pour être français, il faut que nous partagions tous, non seulement des principes juridiques nous permettant de vivre ensemble, mais quelque chose de plus qui renvoie une morale partagée, à une façon lourde d’habiter le monde, que le mot de valeur de la République traduit.

Vous avez eu le 24 août 2021 la promulgation d’une loi très importante qu’on a appelé longtemps la loi séparatisme qu’on appelle maintenant de son titre officiel la loi confortant le respect des principes de la République. Cette loi s’ouvre comme toutes les lois par un exposé des motifs. Cet exposé des motifs dit la chose suivante : la République est un projet exigeant elle demande à tous les citoyens qui en composent le corps d’adhérer à ses valeurs. Elle demande à tous les citoyens qui en composent le corps d’adhérer à ses valeurs 7 ou mots qui transforme dans un sens populiste l’organisation générale de notre démocratie. Ce qui est important dans la phrase que je viens de dire c’est de montrer que c’est un nouveau paradigme, Jaures aurait dit : la République c’est d’abord un système d’organisation des libertés et je demande à chacun dans le cadre de la nation de respecter la liberté d’autrui. On se serait arrêté là. Si l’on passe du côté de ce que nous dit aujourd’hui le pouvoir législatif, on nous on ne nous demande pas de respecter les principes, ce que tout citoyen doit accepter de faire puisqu’il est le membre d’une communauté politique, on nous demande d’adhérer à des valeurs. Voyez la différence entre respecter des principes juridiques et adhérer à des valeurs morales. L’adhésion suppose que le pouvoir entre dans mon intimité pour m’amener précisément à un moment donné à me déposséder de ma propre subjectivité.

Adhérer ça n’est pas respectecter, dans le respect j’ai toujours une possibilité de résistance, dans l’adhésion cette possibilité de résistance disparaît dans la donation que je donne à la loi qui vient me régir. Et on s’aperçoit que dans tous les discours politiques, vous avez cette dérive qui est une dérive illibérale. c’est un moment de rupture dans l’histoire de nos démocraties libérales.

 

Pour ce qui concerne la sphère intellectuelle

C’est plus partagé et on voit dans la sphère intellectuelle deux façons de résoudre le problème. Première façon celle que je viens de dire vous avez des auteurs qui interviennent pour beaucoup dans cette nécessité de reconstruire le lien social à partir de valeurs supérieures. Vision qu’on retrouve chez Elisabeth Badinter, porte l’idée que la véritable liberté c’est une liberté d’émancipation il faut s’extraire des archaïsmes du religieux pour essayer d’accéder à la raison républicaine. Et puis vous avez parallèlement un certain nombre d’autres auteurs comme Alain Touren qui explique que ce qui fait une société c’est davantage le respect de la liberté d’autrui, et c’est moins par une limitation descendante verticale des existences que par une limitation horizontale. Ma liberté s’arrêtant là où commence celle des autres, que peut se construire une société. Voilà deux schémas très différents du point de vue intellectuel et qui expliquent qu’en effet il y ait des luttes très fortes sur cette question.  

 

Les risques et paradoxes du populisme

Si le populisme peut être perçu comme une réaction légitime à la crise de la démocratie représentative, il n’en demeure pas moins porteur de risques. Portier souligne en particulier le danger d’une personnalisation excessive du pouvoir, où un leader charismatique prétend incarner à lui seul la volonté du peuple. Ce phénomène, observé dans de nombreux régimes populistes, tend à fragiliser les institutions démocratiques et à réduire le pluralisme politique.

Un autre paradoxe du populisme réside dans sa prétention à défendre la souveraineté populaire tout en contournant ou affaiblissant les contre-pouvoirs institutionnels (par exemple crier à l’acte antidémocratique quand la justice respecte juste la loi en condamnant une personnalité politique). Cette tension entre démocratie directe et État de droit constitue un point central des critiques adressées au populisme.

 

 

Conclusion : une interrogation sur l’avenir de la démocratie

En définitive, la réflexion de Philippe Portier sur le populisme invite à une interrogation plus large sur les mutations de la démocratie contemporaine. Si le populisme met en lumière des dysfonctionnements réels du système représentatif, il ne constitue pas nécessairement une solution viable à long terme. Le défi est alors de repenser la démocratie de manière à répondre aux attentes de participation citoyenne sans tomber dans les dérives autoritaires du populisme. Cela implique de redéfinir le rôle des institutions, de renforcer les mécanismes de participation et de restaurer la confiance entre gouvernants et gouvernés. Sinon cette mutation, bien que porteuse d’une volonté de rééquilibrage démocratique, peut fragiliser les principes fondamentaux de l’État de droit.

Face à cette évolution, le défi pour les démocraties modernes est de trouver un équilibre entre une plus grande participation citoyenne et la préservation des institutions garantes de la stabilité démocratique, sans basculer dans une société postfasciste ou conspirationiste. Il ne s’agit pas seulement de rejeter le populisme, mais d’en comprendre les causes et d’y répondre en questionnant et réinventant les impasses démocratiques que nous vivons dans la cinquième république.  

 

sources :

ouvrages de Philippe Portier : 

  • Métamorphoses catholiques. Acteurs, enjeux et mobilisations depuis le mariage pour tous
  • L’État et les religions en France. Une sociologie historique de la laïcité
  • L’aventure démocratique, Cheminements en compagnie de Jean Baudouin
  • Politique et religion, L’enjeu mondial
  • Un siècle de construction sociale

ouvrages de Michel Feher

  • Producteurs et parasites. 

 

à lire en complément : 

L’être (in)complet : idéalisme et réalité 

L’être (in)complet : et le fait politique

L’être (in)complet : et sa réponse politique 

 

Les différentes conceptions de la démocratie : une pluralité de sens pour un même idéal