L’œuvre d’Hayao Miyazaki, cinéaste japonais et cofondateur du studio Ghibli, constitue une véritable philosophie en images. Par la subtilité de ses récits, la densité morale de ses personnages et sa vision profondément organique du monde, Miyazaki propose une sagesse du vivant, de la lenteur, et de la relation. Son univers résonne avec les pensées de différents philosophes contemporains, qui tous, à leur manière, ont tenté et tente de penser une forme de résistance éthique face aux impasses de la modernité technocratique.
Utopie réaliste et relationnelle
Le solarpunk n’est pas une utopie naïve, mais une réponse poétique et politique à la crise écologique. Il imagine des sociétés soutenables, décentralisées, ancrées dans les énergies renouvelables, le soin mutuel et la coopération avec le vivant.
C’est exactement ce que montre Miyazaki dans des films comme Nausicaä de la vallée du vent : une civilisation post-apocalyptique qui cherche non à dominer la nature, mais à réconcilier technique et écologie. Il ne s’agit pas de revenir à la bougie, mais d’imaginer un progrès doux, enraciné, humain.
Une écologie spirituelle : vivre avec, non contre
Chez Miyazaki, la nature est bien plus qu’un décor : elle est sujet, altérité vivante, puissance autonome. Dans Princesse Mononoké (1997), la forêt et ses esprits défendent leur droit d’exister face à l’expansion humaine. Mais il ne s’agit pas d’un manichéisme naïf : les humains ont aussi leurs raisons, et Miyazaki choisit la coexistence conflictuelle plutôt que la victoire d’un camp.
Cette tension rejoint la pensée de Bruno Latour, qui appelle à « atterrir », c’est-à-dire à repenser notre ancrage terrestre dans une perspective relationnelle. Latour, comme Miyazaki, considère que nous devons apprendre à « composer avec » les êtres de la Terre, humains et non-humains. Il ne s’agit pas de retour à la nature, mais d’une écologie des relations.
La nuance morale : comprendre plutôt que juger
L’un des traits caractéristiques des films de Miyazaki est l’absence de méchant absolu. Même les figures antagonistes (Lady Eboshi, Yubaba, Sorcière des Landes…) ont une complexité morale, une humanité propre. Il s’agit moins de condamner que de comprendre. Cette ambiguïté radicale est au cœur de la pensée d’Albert Camus, pour qui l’homme absurde est celui qui refuse les illusions simplificatrices, mais choisit malgré tout l’engagement.
Camus écrit dans L’Homme révolté : « La révolte naît du spectacle de l’irrationnel, devant une condition injuste et incompréhensible. »
Miyazaki, de façon analogue, place ses personnages dans des mondes injustes, mais sans cynisme : ils résistent en restant fidèles à une forme de bonté intérieure.
La sagesse ici est de reconnaître la complexité du réel (on pense aussi à Edgard Morin), et choisir la compassion plutôt que la domination morale.
L’éloge de la lenteur et du soin
Dans Mon voisin Totoro (1988) ou Le Voyage de Chihiro (2001), il ne se passe presque « rien », du moins au sens hollywoodien. Ce qui compte, ce sont les gestes, les silences, l’attention portée aux choses. Miyazaki valorise une éthique du soin (care), ancrée dans la présence au monde.
Cela rejoint les réflexions d’Hartmut Rosa, qui dénonce les effets déshumanisants de la vitesse, de l’efficacité technocratique, et prône une société conviviale, lente, autonome. Pour Rosa, il faut retrouver une forme de résonance du temps long, dans notre environnement. L’imaginaire de Miyazaki est une traduction visuelle de cette pensée : ses personnages marchent, jardinent, réparent, prennent soin.
L’imaginaire comme puissance politique douce
Enfin, l’œuvre de Miyazaki est un plaidoyer pour l’imaginaire, non pas comme fuite, mais comme puissance de résistance. L’imaginaire est ce qui permet aux enfants, souvent héros de ses récits, de survivre, de comprendre, de transformer. Loin du divertissement, c’est une pratique du monde. Cela rejoint la pensée de Benasayag qui affirme que « créer, c’est vivre avec et dans le réel », la liberté suppose de repenser nos outils, nos institutions, nos symboles. Chez Miyazaki, l’imaginaire ne nie pas la réalité : il la prolonge en sens, il en fait une matière à transformation.
Le solarpunk est une fiction politique : il dit que le futur n’est pas nécessairement apocalyptique. Il faut oser rêver un monde habitable, joyeux, régénératif. Cette utopie visuelle est déjà une forme d’action. C’est ce que fait Miyazaki depuis toujours : ses récits ne nient pas les conflits, mais ils offrent des figures d’espérance, des enfants courageux, des esprits protecteurs, des communautés solidaires. L’imaginaire y est une forme de résilience active, une alternative au cynisme.
La technologie réinventée : artisanale, conviviale, organique
Le solarpunk ne rejette pas la technologie, mais il la relocalise. Il la rend conviviale, ouverte, réparable, appropriable. C’est une critique du techno-capitalisme au nom d’un savoir-faire intégré dans le tissu social.
Miyazaki illustre cela dans Le Château Ambulant ou Laputa, où les machines sont souvent bricolées, sensibles, presque vivantes. Il rêve d’un rapport technologique non destructeur, où la technique n’efface pas le vivant mais le prolonge.
Conclusion
La sagesse de Miyazaki n’est ni dogmatique ni théorique : c’est une sagesse vécue, incarnée dans des récits où chaque geste a un sens, où chaque personnage porte une part de lumière et d’ombre. En convoquant des philosophes contemporains, on comprend mieux à quel point Miyazaki ne fait pas que raconter des histoires : il propose une manière d’habiter poétiquement le monde, dans une époque qui semble avoir perdu cette capacité. Sans en revendiquer le nom, Hayao Miyazaki est peut-être l’un des grands précurseurs du solarpunk. Il en partage la vision holistique, l’amour du vivant et la puissance narrative. Son œuvre pourrait être décrite comme une utopie concrète animiste, dans laquelle les forêts, les vents, les esprits et les humains cohabitent dans un monde fragile mais habitable.