L’économiste comportemental Richard H. Thaler qui a remporté le prix Nobel d’économie pour son travail sur l’incitation comportementale. Il s’agit ici d’inciter subtilement quelqu’un changer de comportement, sans limiter son choix et sans imposer d’obligations. Les empreintes de pas sur le sol qui détournent les gens de l’ascenseur vers l’escalier en sont un exemple bien connu. Cette stratégie se fonde sur le fait que nous faisons beaucoup de choix automatiquement, en répondant aux signaux émanant de l’environnement. En ajustant ces signaux – également appelés « nudges » – vous pouvez facilement influencer le comportement.
L’apport principal du Nudge, explique Eric Singler, repose sur le fait que « la connaissance d’une information n’est pas suffisante pour nous inciter à prendre les bonnes décisions ». La connaissance ne suffit pas ! « La pédagogie et l’éducation, que l’on convoque si souvent pour résoudre les problèmes, créent l’intention, mais ne nous aident pas toujours à passer à l’action ». Si c’était le cas aucun médecin ne fumerait ou personne ne téléphonerait en conduisant… « On ne change pas nos comportements avec l’information ! » Le nudge est l’un des outils qui cherche à transformer l’intention en action.
Présentation en vidéo :
Recontextualisons :
La théorie du nudge part de l’échec de la vision néolibérale de “l’homo œconomicus” qui prendrait toujours des décisions dans son propre intérêt. Le nudge vient alors modifier l’environnement, et donc l’”architecture de choix” pour inciter (et non-contraindre…) la personne à prendre la bonne décision. La théorie du nudge affirme que des techniques d’influence douce peuvent faire changer les comportements plus sûrement que des lois, des interdits, ou des ordres.
Cette technique issue de l’économie comportementale se propose d’influencer donc nos comportements dans “notre propre intérêt” appelé aussi théorie du paternalisme libéral . Une approche qui intéresse les gouvernements, qui comme nous le savons, sont farouchement attachés à “notre propre intérêt”… Comme les anciens libéraux, les technocrates se méfient bien sûr des collectifs, et en particulier du dêmos, systématiquement présenté comme une foule irrationnelle et dangereuse, ce qui le rend incapable d’imaginer quelque chose comme une « intelligence collective ». Mais ce qui distingue la technocratie actuelle du libéralisme politique plus classique, c’est qu’il se méfie tout autant des individus, qu’il juge pétris de biais cognitifs. Le résultat est que les nouveaux libéraux croient qu’il faut administrer d’en haut, par une ingénierie sociale, avec l’aide des sciences sociales, ainsi qu’avec l’aide de tout un nouveau savoir, celui que l’on peut voir à l’œuvre dans l’économie comportementale et ses techniques de nudging, ou d’incitation douce, parfois assorties de mesures répressives.
Une politique dépolitisée : de la suppression des idées à la création d’une fin de l’histoire technocratique
Pour le théoricien du Nudge, co-auteur du livre éponyme, professeur à l’école de droit de Harvard, Cass R. Sunstein le but des sciences comportementales est d’améliorer la compréhension de la source des problèmes que nous rencontrons et d’étendre l’ensemble des outils imaginables permettant d’y répondre. Les politiques publiques doivent rester centrées sur les problèmes (problem-centered) plutôt que conduites par les théories (theory-driven). Comprendre remplacer la politique des idées des choix basé sur des débats politiques, par une vision d’expertise technocratique dogmatique.
Pour creuser cette idée je vous conseille cet article : L’être (in)complet : et le fait politique
Reprise et développée par Daniel Kahneman (Nobel d’économie 2002), puis par Richard Thaler (Nobel 2017) et Cass Sunstein (en 2003 puis 2008), et par Dan Ariely dans son livre C’est (vraiment ?) moi qui décide: les raisons cachées de nos choix (2008), la théorie et méthode du Nudging fut adoptée Dès 2010 par David Cameron, premier ministre conservateur britannique, puis en 2013 Barack Obama, président démocrate étasunien, dotent leurs administrations respectives d’une “Nudge Unit”. Unité qu’a aussi créer Emanuel Macron au début de la pandémie pour trouver comment gérer au mieux celle-ci. Des structures qui proposent aux gouvernements d’utiliser les enseignements de l’économie comportementale pour améliorer l’action publique.
Le nudge pose un problème éthique et politique.
Jusqu’où l’incitation à changer de comportement peut-elle aller ? N’est-elle pas un frein à la liberté ? Le nudge “éthique et transparent” est évidemment une foutaise. L’objectif même, la nature même de la démarche en fait un outil de manipulation. Quand on sait combien, dans une société capitaliste basée sur le profit-roi, les intérêts financiers l’emportent toujours sur l’intérêt général on ne peut être dupe de cette marche supplémentaire vers “le meilleur des mondes”. L’économie comportementale s’apparente à une économie de l’individualisme. Pour Jean-Michel Servet, professeur à l’Institut des Hautes Etudes internationales et du Développement de Genève, les enquêtes et expérimentations qui accompagnent les nudges sont elle-même biaisées, car elles considèrent l’individu “hors sol”, bref une “robinsonnade” comme disait Marx. JM Servet explique “On ne mesure pas les effets systémiques des nudges. La conséquence de cela est de penser qu’il suffit d’agir à des niveaux individuels sans penser les niveaux collectifs”.
Les limites du nudge
Quel bilan tirent de l’expérience les promoteurs de la théorie ? Récemment (juillet 2016), C. Sunstein a publié une version préliminaire d’un nouveau papier, « Nudges that fail », qui tente de comprendre pourquoi un nudge peut échouer à provoquer la réaction souhaitée. Deux grandes raisons expliqueraient son inefficacité relative : la première est l’existence d’une forte opposition de la part du consommateur aux choix proposés par défaut, qu’il fera donc l’effort de contrecarrer. L’autre est l’existence au sein de l’environnement de « contre-nudges ».
Que sont les contre-nudges ? Ils se manifestent lorsqu’ils heurtent certains intérêts, notamment économiques. Certaines sociétés peuvent limiter ou refuser leurs services à ceux qui ont choisi la solution par défaut. Par exemple, aux Pays-Bas, une loi a été votée pour que les utilisateurs du Web bénéficient par défaut d’une option garantissant la vie privée, empêchant le traçage de leurs activités. Malheureusement, du coup, un bon nombre d’entreprises (y compris des associations à but non lucratif) ont interdit l’accès de leur site à ceux qui n’ôtaient pas ce paramètre par défaut.
Conclusion les nudges sont des outils alliant recherche neuropsychologique et marketing pour avancer vers une société dépolitisé où le seul objectif et d’amener chaque personne à s’adapter à l’idéologie dominante et à avoir le comportement adapté et demandé par celle-ci.
Il serait peut-être temps de poser des vrais débats sociaux sur la manière dont sont utilisées les évolutions du neuro-marketing dans un cadre politique.