Lorsque le neuro-marketing est utilisé en politique pour influencer

Le prix Nobel d’économie a été décerné à l’économiste comportemental Richard H. Thaler pour son étude sur l’incitation comportementale. C’est une manière subtile d’encourager quelqu’un à changer de comportement, sans restreindre son choix et sans imposer d’obligations. Un exemple bien connu est celui des traces de pas sur le sol qui détournent les personnes de l’ascenseur vers l’escalier. L’idée derrière cette stratégie repose sur le fait que nous prenons de nombreuses décisions automatiquement en répondant aux signaux provenant de l’environnement. En modifiant ces signaux aussi connus sous le nom de « nudges » vous avez la possibilité d’avoir une influence facile sur le comportement.

 

Selon Eric Singler (Directeur General de BVA en charge de la BVA Nudge Unit qu’il a crée en 2013. Egalement passionné par la Behavioral Economics, il est à l’initiative de la création de NudgeFrance), le Nudge revêt une importance capitale car « la simple connaissance d’une information ne suffit pas pour nous inciter à prendre les bonnes décisions ». La maîtrise n’est pas adéquate! « L’éducation, que l’on appelle si souvent pour résoudre les problèmes, suscite l’intention, mais ne nous donne pas toujours l’opportunité de prendre des mesures ». Dans le cas contraire, personne ne fumerait ou ne téléphonerait pendant la conduite… « L’information n’affecte pas nos actions! » Le nudge fait partie des outils qui ont pour objectif de transformer l’intention en action.

 

Présentation en vidéo :

Recontextualisons : 

La théorie du nudge part de l’échec de la vision néolibérale de “l’homo œconomicus” qui prendrait toujours des décisions dans son propre intérêt. Le nudge vient alors modifier l’environnement, et donc l’”architecture de choix” pour inciter (et non-contraindre…) la personne à prendre la bonne décision. La théorie du nudge affirme que des techniques d’influence douce peuvent faire changer les comportements plus sûrement que des lois, des interdits, ou des ordres.

Cette technique issue de l’économie comportementale se propose d’influencer donc nos comportements dans “notre propre intérêt” appelé aussi théorie du paternalisme libéral . Une méthode qui attire l’attention des gouvernements, qui, comme nous le savons, sont très attachés à « notre propre intérêt ». À l’instar des anciens libéraux, les technocrates sont évidemment méfiants envers les collectifs, et plus particulièrement le dêmos, qui est systématiquement présenté comme une foule irrationnelle et dangereuse, et qui ne peut donc s’imaginer d’une « intelligence collective ». Cependant, ce qui différencie la technocratie contemporaine du libéralisme politique traditionnel, c’est qu’elle se méfie autant des individus, qu’elle considère comme étant teintés de biais cognitifs. Il en résulte que les nouveaux libéraux estiment qu’il est nécessaire d’administrer depuis le haut, en utilisant une ingénierie sociale, en utilisant les sciences sociales, ainsi qu’en utilisant un nouveau savoir, celui que l’on peut observer dans l’économie comportementale et ses méthodes de nudging ou d’incitation douce, parfois accompagnées de mesures répressives.

 

Une politique dépolitisée : de la suppression des idées à la création d’une fin de l’histoire technocratique

Pour le théoricien du Nudge, co-auteur du livre éponyme, professeur à l’école de droit de Harvard, Cass R. Sunstein le but des sciences comportementales est d’améliorer la compréhension de la source des problèmes que nous rencontrons et d’étendre l’ensemble des outils imaginables permettant d’y répondre. Les politiques publiques doivent rester centrées sur les problèmes (problem-centered) plutôt que conduites par les théories (theory-driven). Comprendre remplacer la politique des idées des choix basé sur des débats politiques, par une vision d’expertise technocratique dogmatique.

Pour creuser cette idée je vous conseille cet article : L’être (in)complet : et le fait politique

 

La théorie et la méthode du Nudging ont été reprises et approfondies par Daniel Kahneman (Nobel d’économie 2002), Richard Thaler (Nobel 2017) et Cass Sunstein (en 2003 puis 2008), ainsi que par Dan Ariely dans son livre C’est (vraiment?) moi qui décide : les raisons cachées de nos choix (2008). À partir de 2010, le premier ministre conservateur britannique David Cameron et le président démocrate étasunien Barack Obama équipent leurs administrations respectives d’une “Unité de l’incitation”. Emanuel Macron a également établi une unité au début de la pandémie afin de trouver la meilleure façon de la gérer. Des organisations offrant aux gouvernements la possibilité d’appliquer les leçons de l’économie comportementale afin d’améliorer l’action publique.

 

Le nudge pose un problème éthique et politique.

Jusqu’où l’incitation à changer de comportement peut-elle aller ? N’est-elle pas un frein à la liberté ? Le nudge “éthique et transparent” est évidemment une foutaise. L’objectif même, la nature même de la démarche en fait un outil de manipulation. Quand on sait combien, dans une société capitaliste basée sur le profit-roi, les intérêts financiers l’emportent toujours sur l’intérêt général on ne peut être dupe de cette marche supplémentaire vers “le meilleur des mondes”. L’économie comportementale  s’apparente à une économie de l’individualisme. Pour Jean-Michel Servet, professeur à l’Institut des Hautes Etudes internationales et du Développement de Genève, les enquêtes et expérimentations qui accompagnent les nudges sont elle-même biaisées, car elles considèrent l’individu “hors sol”, bref une “robinsonnade” comme disait Marx. JM Servet explique “On ne mesure pas les effets systémiques des nudges. La conséquence de cela est de penser qu’il suffit d’agir à des niveaux individuels sans penser les niveaux collectifs”.

 

Les limites du nudge

Quels sont les résultats de l’expérience des partisans de la théorie? Dernièrement (juillet 2016), C. Sunstein a publié une première version d’un nouveau article intitulé « Nudges that fail », qui cherche à comprendre les raisons pour lesquelles un nudge peut ne pas susciter la réaction désirée. Son inefficacité relative pourrait être expliquée par deux raisons principales : la première est l’existence d’une forte opposition de la part du consommateur aux choix proposés par défaut, qu’il fera donc l’effort de contrecarrer. L’autre aspect est la présence dans le contexte de « contre-nudges ».

Que sont les contre-nudges ? Ils apparaissent lorsqu’ils rencontrent des intérêts, en particulier économiques. Il est possible que certaines entreprises restreignent ou refusent leurs services à ceux qui ont opté pour la solution par défaut. À titre d’exemple, avec Hollande, une loi a été adoptée afin que les utilisateurs du Web puissent bénéficier automatiquement d’une option de protection de la vie privée, empêchant ainsi le suivi de leurs activités. Malheureusement, donc de nombreuses entreprises (incluant des associations à but non lucratif) ont interdit l’utilisation de leur site à ceux qui ne retiraient pas ce paramètre par défaut.

En conclusion. Les nudges sont des méthodes qui combinent des études neuropsychologiques et du marketing afin de progresser vers une société dépolitisée l’objectif principal est d’amener chaque individu à s’adapter à l’idéologie dominante et à adopter les comportements appropriés et demandés par celle-ci.

Il serait peut-être opportun d’engager de véritables discussions sociales sur l’utilisation des avancées du neuro-marketing dans un contexte politique.