La place de la métaphysique : Comprendre la place du désir d’être.

Notre rapport à la vie est un rapport à la narration, c’est comprendre ce que je veux raconter de moi. Si cette narration n’est pas entendue ou acceptée, alors la souffrance produite créée un sentiment de rejet, d’abandon voire d’humiliation, nous vivons alors une forme de souffrance métaphysique. Rappel : l’identité vient d’identique et non de singulier. Construire son identité c’est contrairement à ce que l’on croit, ne pas devenir unique, mais trouver affectivement le groupe qui partage la même narration que celle que je veux construire. Si je n’arrive plus à trouver de raison de projeter une narration et placer ma vie dans une continuité plus grande que moi alors émerge la dépression.

L’accident est une forme de rupture narrative, c’est notre angle mort, ce non pensé non-dit pour que l’on puisse justement construire notre histoire. Mais à ne pas vouloir penser l’accident, on devient dépendant d’une forme de sécurité factice qui voudrait protéger la vie. Cela pour éviter toute coupure dans la création de notre histoire pensée à réaliser. L’accident le plus violent étant bien entendu la mort elle-même. La mort est dure à accepter, car c’est une rupture dans la continuité narrative de l’histoire que l’on veut raconter. La mort c’est la coupure de communication avec l’autre. L’abandon est ainsi violent qu’il tue symboliquement l’autre en coupant toute possibilité de communiquer.

Au niveau social, la narration qui guide une société est nommé : Métaphysique. Et celle-ci est indispensable pour avoir un fonctionnement social sain. Une démocratie sans métaphysique tourne à vide, c’est une institution machinale, froide, qui ne sait plus pourquoi elle marche, réduite à la dimension bureaucratique de son fonctionnement. Ce vide peut se remplir de n’importe quelle idéologie totale et exclusive, jusqu’à l’éclatement ; cette bureaucratie,  en mal de chaleur, peut s’échauffer jusqu’à l’incendie sous le charisme d’un dictateur. La démocratie sans métaphysique étouffe dans le nihilisme. Elle manque de pensées. Essentialisant tout, elle donne prise aux idéaux négatifs, contre le progrès, le monde, la culture, les cultures, contre tout ce qui est considéré comme autre, contre l’immigré, contre le riche, contre le pauvre, contre le noir, contre le blanc, potentiellement contre tout. Elle laisse prise au nationalisme, au protectionnisme, aux fantasmes totalitaires les plus extravagants qui peuvent passer pour naturels.

La politique démétaphysiquée se rend elle-même impuissante. Le désarroi des citoyens se reflète alors dans l’impuissance des dirigeants, qui végètent, s’ennuient et évoluent dans les cercles d’un pouvoir désormais dénué de pouvoir. Il ne leur reste plus comme issue sans issue que la corruption économique ou /et la dictature populiste. Ils consument leur existence politique, se méprisant secrètement eux-mêmes, pendant que les populations angoissées consomment sans répit, et parfois relèvent la tête pour conspuer. Pour Marcuse, ce processus est la perte du “concept transitif”, lorsque les êtres humains même les plus aliénés ne pensent plus à autre chose qu’à participer au système de leur propre aliénation. Ils ne pensent plus qu’à entretenir leur malheur. R. Liogier et D. Quessada appellent ce processus le cercle vicieux du manque de métaphysique.

La place de la construction sociale dans ce désir d’être :

La société technocratique s’est construit en réaction à l’angoisse existentielle dépendante de la liberté qu’a pu offrir la modernité en laissant chacun le choix de construire sa propre histoire et donc sa propre métaphysique. Face à cela, le choix technocratique est d’adapter l’homme au marché. Lui donné un cadre de référence narratif pour lui retirer le choix complexe de la transcendance et de sa responsabilité qui en découle. D’où la forme de l’ultra régulation et l’infantilisation portée socialement sous prétexte de sécurisation absolue que l’on retrouve dans nos sociétés contemporaines.

Cependant, la COVID souligne l’échec de cette philosophie technocratique. Notamment dans le rapport aux multinationales pharmaceutiques comme bras armé de cette sécurisation de la santé. Idée qui avait été développée par Foucault dans le concept de biopouvoir et d’heugiénisation de la société. Mais en observant la situation sanitaire et les effets sociaux, on en arrive à poser un postulat porté par Raphaël Liogier qu’il nomme une évolution sociale du néolibéralisme (le technocratisme) au corrélationisme. Qui serait présente depuis un moment, mais dont la covid serait un projecteur sur la problématique de cette position.

Pour la comprendre, passons par un rapide historique sur l’évolution philosophique et épistémologique de la science.

La science au sens postmoderne : n’est plus supposé dire la finalité du monde tel que le faisait la religion. La finalité du monde ne pouvant être qu’un postulat abstrait et non scientifique, elle sort du domaine scientifique. Vision portée par un certain Karl Popper qui expliquait qu’une loi scientifique a besoin de contradiction pour y porter sa limite et son cadre. D’où l’importance du débat de la démarche scientifique, c’est lui qui freine voire bloque toute tentative de transformer une loi scientifique en loi totalitaire.

La science au sens technocratique : amène quant à elle, l’idée que le matérialisme peut finalement être la totalité du tout. La métaphysique étant modelée dans un cadre matérialiste qui dirige la loi scientifique vers un risque totalitaire qui a pour objet de cadrer et guider par la science le rapport au monde. La métaphysique n’est plus libre d’évoluer en complément d’une démarche scientifique, mais se retrouve cadrée et guidée par elle. Nous arrivons alors à une vision plus scientiste que scientifique.

La science au sens Corrélationniste : rejette le garde-fou porté par Karl Popper, ce qui entraine une vision totalitaire radicale. L’importance ne vient plus des données, mais de la quantité. Les statistiques prennent alors le pas sur la cohérence théorique. Si le nombre quantitatif est suffisamment grand alors l’hypothèse peut devenir réelle. Ainsi, l’humain devient un profil analyser statistiquement et on passe d’une vision construite sur une théorie cohérente à la fabrication de modèle complémentaire qui peut se trouver entre eux contradictoire. Ainsi, la médecine a remplacé la cohérence (le rationalisme) par le pragmatisme et la validation par l’expérience en nombres statistiques (l’empirisme).

De la science à la société des corrélations :

L’humain rejetant toute forme de vide, va remplacer l’idée de corrélation par une forme de réalité décrivant le réel. Si les nombres sont suffisants alors c’est que la qualité doit être présente. Arrive alors la société des impostures chères à Romain Gori. Voir pour illustré cela le nombre de « j’aime », de commentaire, de votes dans une téléréalité pour valider la qualité d’un contenu. Il est d’ailleurs amusant de voir que les multinationales les plus fortes les GAFAM sont celles qui maitrise l’utilisation de cette pratique, et vision dans leur essence même. Le problème structurel est donc lorsque la quantité devient tellement grande qu’elle se métamorphose en qualité. N’ayant plus de qualité intrinsèque et donc de grandeur structurant la société, mais en ayant besoin, on créé de la grandeur factice ou la quantité devient qualitative se faisant ainsi passer pour une transcendance (les Stars TV réalité la quantité devient qualité pour ceux qui veulent devenir qualitatif). C’est aussi le fonctionnement de l’art contemporain, les côtes des artistes sont basées sur ça. Mais réalisant dans le fond que tout cela n’est que du faux-semblant on en arrive à adhérer à des idées, des visions, des personnes sans réelle adhérence (on joue le jeu, plus qu’on ne valide le fond du discours porté). Créant ainsi un recul face à notre propre démarche et rejetant ce qui joue au mieux avec cette pratique, j’ai nommé, les politiciens.  Une des formes du rejet de la politique pouvant être expliqué comme rejet structurel d’un rapport au réel faussé pour tenter de donner un sens qui est enseveli sous une forme mortifère.

 

Ainsi ne pas penser la question métaphysique, rejeter la question du sens et notre rapport au désir d’être dans une histoire plus grande, nous entraine fatalement vers des métaphysiques négatives telles que le nihilisme ou les théories complotistes, la collapsologie, qui offre un sens pathologique, une histoire négative bloquant toute vision constructive d’un futur désirable. C’est nourrir en profondeur, et sans chercher à y répondre, le sentiment tragique de la vie.

La métaphysique a donc cela d’essentielle, c’est qu’elle est le fondement de notre société. Elle structure l’histoire dans laquelle on rentre qui donne sens à notre existence et à la civilisation dans laquelle celle-ci se déplace. La métaphysique de Kant expliquait que sans transcendance il ne peut y avoir de monde rationnel. Car celle-ci est le socle de la morale et de la démocratie. Cette immanence interne à l’individu qui fait que sa voix, à une importance vitale qui doit être entendu et pris en compte dans la construction sociale ; ce qui entraine de fait une vision démocratique de la société. Et fasse à cela, Auguste Conte déjà à son époque expliquait que le Marché est un concept métaphysique qui se veut totalitaire dans notre rapport au monde social. Il serait donc de repenser en profondeur l’Histoire dans laquelle on a envie d’exister et d’être, porteuse d’un avenir soutenant et fédérateur.

Car comme le souligne Raphaël Liogier, s’il est bien un souci d’époque auquel la métaphysique doit répondre, c’est bien celui de savoir comment s’orienter dans notre monde sur-intriqué de l’inséparation qui est désormais le nôtre. Le monde actuel remet en question, ou est en train de le faire, une grande part des principes sur lesquels nous avons fonctionné jusqu’alors, et ce depuis plusieurs siècles : principe de non-contradiction, causailité, séparation, analyse, dialectique, humanisme, spécisme, ségrégation, discrimination (notamment vis à vis des femmes et des LGBTQI+), etc. Et cela, pas seulement dans le secret de quelques laboratoires de sciences humaines dirigés par des illuminés, pas dans les élaborations plus ou moins ésotériques de quelques philosophes toujours soupçonnés d’être coupé du réel, ni même dans des labos où travaillent les physiciens soulevés par la mécanique quantique. Non, cela à lieu également dans notre quotidien le plus quotidien, dans le plus ordinaire de notre ordinaire : dans la vie de tous les jours. Tous ces termes sont en cours d’obsolescence, ou déjà rangés dans le placard où l’on remise ce qui ne sert déjà plus vraiment, mais dont on peine, souvent pour des raisons affectives, à se débarasser complètement. Pourtant, qui ne pourrait sérieusement prétendre que le rapport au monde, aux autres et à nous mêmes ne demande pas à être reconfiguré pour que nous puisssions habiter ce nouveau paysage ?

 

Source : 

Manifeste métaphysique par Raphaël Liogier

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