De la post-modernité à la méta-modernité

« La culture pré-moderne nous a fourni une solide orientation morale, sous la forme de ce que nous appelons aujourd’hui la religion (…)

La modernité nous a offert une vision de ce que pourrait être l’égalité des droits, la démocratie, la science (…)

Le post-modernisme, lui, est une sorte de « théorie globale de la pensée » de la fin du XXème siècle. Il nous a permis de déconstruire les fondements de notre civilisation pour mieux étudier leurs structures internes. » 

Quelle serait, dès lors, « l’étape d’après » ? L’approche culturelle dite méta-moderniste, qu’on peut définir comme une synthèse entre la distance ironique du post-modernisme et l’authenticité d’un désir d’idéal du modernisme, offre-t-elle une voie possible ?

Telle est la question que pose la philosophe danoise Lene Rachel Andersen dans son essai Metamodernity: Meaning and hope in a complex world (éditions Nordic Bildung), et Maxime Batiot dans sa thèse :  Le métamodernisme : théorie et mises en applications

 

Retour sur le Post-modernisme

Si l’on cherche à nommer le courant méta-moderne, il est pertinent de débuter avec celui qui la précéder, de le définir et de s’interroger sur ce qui a pu entraîner son déclin. Une des premières et des plus notables théorisations du postmodernisme vient de La Condition postmoderne. Rapport sur le savoir de Jean-François de Lyotard, publié en 1979. Ce texte a été écrit à la suite d’une commande du gouvernement du Québec et « a pour objet d’examiner la situation du savoir (de ses institutions informelles et formelles, de recherche et d’enseignement) dans les sociétés industrielles les plus développées ». Dans La Condition postmoderne, Lyotard remet en cause les grands récits de la modernité : l’idée d’un progrès scientifique et moral est questionnée, celle la rationalité y est critiquée et les savoirs dits « narratif et scientifique » y sont opposés. 

Poussée à son paroxysme, cette critique mène à un rejet de l’idée même d’objectivité, de rationalité et signe un nouveau rapport au monde. Basé fortement sur tous les travaux de déconstruction associé au structuralisme et poststructuralisme, il est souvent associé à ce que les États-Unis nomme la French Theory. Un autre développement majeur dans la théorisation du postmodernisme a eu lieu plus récemment en 1992 avec l’ouvrage  de Francis Fukuyama, dans lequel l’auteur considère que l’effondrement du bloc soviétique signe la victoire des démocraties libérales et donc une constance idéologique jusque-là inexistante. 

(Pour creuser le sujet voir cet article qui analyse la postmodernité)

 

Le méta-modernisme une philosophie adaptée pour notre temps.

Seulement si ni l’adhésion du modernisme (détruit puis déconstruit depuis les années 50) ni le désir de déconstruction permanent (pour éviter de reproduire des atrocités)  du post-modernisme ne sont viables (car pouvant nous faire tomber dans une forme de cynisme nihiliste), nous devons inventer autre chose pour continuer à vivre ensemble et faire collectif malgré les divergences idéologiques qui peuvent s’exprimer dans une société.

 

Parmi les théories cherchant à dépasser le postmodernisme, celle qui cherche à considérer l’ensemble de discours le plus large et qui me semble offrir la théorie la plus complète est celle de deux chercheurs hollandais, Timotheus Vermeulen et Robin Van den Akker avec le métamodernisme. Ce courant se situe à côté et après le postmodernisme.

  • En étymologie, le mot « métamodernisme » est dérivé du préfixe « méta », qui signifie à la fois « avec », « entre », et « au-delà de », et qui rassemble ces trois éléments avec les sensibilités des différentes époques de la tradition à la postmodernité, en passant par la modernité. Le rapport au monde et au savoir du métamodernisme est inspiré des trois courants précédents.
  • Épistémologiquement, il vise à mêler l’enchantement et la profondeur existentielle de la tradition et de la modernité, associé à la critique légitime de la postmodernité. Cette épistémologie n’intègre pas ces idées sous la seule forme d’une synthèse mais également d’une alternance, d’un équilibre dynamique. « L’un ou l’autre et l’un et l’autre » est en effet un leitmotiv métamoderne. Ce courant adopte également la vision kantienne d’un idéalisme négatif épousant la contradiction en s’engageant dans un mouvement de « faire comme si ». En vue de progresser et de se fixer des objectifs, le métamodernisme s’engage et agit « comme si » un objectif final de progrès existe.
  • Ontologiquement, le sujet métamoderne oscille entre l’optimisme authentique moderne et la vigilance accrue du postmoderne. Contrairement au postmodernisme, qui favorise les stratégies de l’ironie, de la déconstruction et de l’exhibition par transparence (suppression de l’implicite lié à la déconstruction du socle commun moderniste par exemple), enfin, le métamodernisme mobilise des mythes, nourrit l’espoir, l’engagement et la reconstruction.

 

Le méta-modernisme propose donc de repenser notre manière de regarder le passé pour s’en inspirer dans le futur, tout en prenant en compte les critiques qui ont été faite sur les cadres idéologiques passé. Il apporte une valorisation de l’ordinaire et à une perspective positive sur l’extraordinaire qualifiée de « néoromantisme ». On peut par exemple, retrouver ça dans la dynamique du solar punk qui reprends des codes culturel passé, la technique présente pour penser et imaginer un avenir possible des aujourd’hui. Toujours fuyant et inatteignable, l’horizon métamoderne offre malgré tout la vision d’un futur désiré qui contraste avec la perspective postmoderne se refusant à considérer un avenir souhaitable.

Dans ce sens, le métamodernisme offre un horizon toujours fuyant (pour éviter de tomber dans un nouveau totalitarisme) mais porteur d’une action concrète et optimiste. La prise en compte de la critique postmoderne, permet à la fois de remettre en cause les présupposés déterministes de l’approche moderne rigoriste et de ne pas tomber dans la déconstruction comme fin en soi et n’offrant aucune voie de progrès civilisationnel.

 

La méta-modernité comme tentative de dépassement.

Tout cela montre que le méta-modernisme peut servir de modèle pour naviguer dans notre époque troublée, en recherche permanente à gauche, de nouveaux récits commun (avec la peur présente de faire ainsi émerger de nouvelles formes de totalitarisme). Le méta-modernisme nous invite donc à regarder le passé d’une manière différente. Plutôt que de le rejeter ou de le glorifier, il propose de s’en inspirer pour construire un avenir meilleur. En étudiant les erreurs et les réussites du passé, nous pouvons éviter de reproduire les mêmes schémas et trouver de nouvelles voies à explorer. De plus il est possible que dans notre passé, il y ait des courants minoritaires qui n’ont pas été pris en comptes et qui pourrait apporter des alternatives, un nouveau regard, ancré dans nos problématiques culturelles, qui pourrait faire résonnance avec nos problèmes actuels. Un exemple parmi d’autres, dans les sociétés pré-modernes, les rituels autour de la mort et du deuil étaient davantage porteurs de sens que ceux auxquels nous sommes habitués aujourd’hui. Ces rituels aidaient les gens à surmonter cette épreuve, beaucoup mieux que nous le faisons aujourd’hui. S’en inspirer à nouveau pourrait donc être utile.

Voici pour synthétiser les valeurs du métamodernisme en comparaison avec le modernisme et le postmodernisme, en s’appuyant principalement sur les distinctions faites par Yousef Tawfiq qui s’intéresse à la littérature du XXe siècle et plus particulièrement le postmodernisme et le postcolonialisme et proposer dans le tableau suivant. Maxime Batiot (voir sa thèse en bas de l’article) les a traduites dans le tableau ci-dessous :

 

La méta-modernité appliquée aux enjeux politiques actuels.

La proposition du métamodernisme consiste à fusionner les pratiques traditionnelles avec les infrastructures et les outils technologiques de la modernité. Idée que l’on peut aussi retrouver dans le courant émergeant du solarpunk. En particulier dans une réévaluation de notre rapport à la nature, (voir sur cette question les travaux de Descola, ou d’Arturo Escobar), de notre mode de consommation et de production (pour sortir de la société de consumation comme l’explique Michel Maxime Egger), de notre système politique (pour une vision plus dynamique et plus participative). En complément une ouverture vers les travaux venant des cultures autochtones, qui entretiennent souvent une relation plus harmonieuse avec leur environnement, peu permettre de découvrir de nouvelles solutions écologique et écocentré. Prendre conscience de notre intégration dans les écosystèmes qui nous entourent, de l’absence de frontière rigide entre nature et culture, de l’importance accordée à l’échelle locale, et des liens qui se tissent avec notre environnement (voir les travaux de Bruno Latour). Depuis quelques années, toutes ces pratiques et approches, connaissent une réhabilitation salvatrice, notamment dans les mouvements affiliés à l’éco psychologie.

Néanmoins, étant donné que le climat est un problème global et non seulement local, la solution complète n’est ni le modèle autochtone ni le modèle moderne en tant que tel, mais la rencontre et l’enrichissement mutuel de ces différentes approche, ancré dans le réel. Il est donc nécessaire de considérer ces divers mouvements en harmonie les uns avec les autres.

La caractéristique du méta-modernisme est donc l’oscillation entre la figure de l’utopie du projet moderniste et la méfiance postmoderne à son égard. Il combine des aspects modernistes, post-modernistes, ainsi que des approches épistémologiques autochtones et pré-modernes. Cette fusion de différentes influences permet de concevoir une approche plus globale et plus inclusive. 

 

Source : 

la thèse de Maxime Batiot : Le métamodernisme : théorie et mises en applications

Métamodernisme

 

en complément : 

 

En Bonus une vidéo pour les anglophones :