Politique et spiritualité : un lien profond souvent inconscient [4]

Voici deux termes qui ne semblent pas vraiment aller ensemble, voir être même opposé. Que vient faire la politique dans la spiritualité et vice versa ?

On serait plutôt à exprimer le fait que ce qui est spirituel est de l’ordre du domaine privée, là où le politique est ce qui s’occupe de la sphère publique. Et pourtant… Il se pourrait que toute forme d’idéologie puisse se ranger sur un axe plus ou moins politique selon le regard posé dessus. Je vais ici vous proposer un axe qui associe justement un regard politique sur notre rapport au spirituel en Occident. Cet axe est le suivant : du collectivisme à l’individualisme.

 

La spiritualité une voie individuelle ?

Lorsque je demande aujourd’hui à des personnes si la spiritualité est une pratique, une vision plutôt individuelle ou collective, la réponse semble évidente et arrive rapidement : la spiritualité est une affaire individuelle. C’est mon rapport personnel à la foi que je peux parfois partager avec d’autres, mais que je travaille seul en moi.

 Et en effet, si nous regardons des vidéos de développement personnel, si nous lisons des livres de développement personnel ou spirituel, c’est bien souvent le message qui en ressort. Et de cela, nous pouvons en analyser plusieurs points. Le premier qui me vient est la place de la responsabilité individuelle : je peux faire tout ce qui est humainement possible (voir plus spirituellement) si je m’en donne les moyens. Le bonheur est attribué pour 90% à des facteurs individuels et psychologiques et les facteurs non-individuels (circonstances) jouent un rôle insignifiant.

C’est par exemple, l’objet même de la pensée créatrice. On nous apprend à sortir de notre zone de confort pour réaliser nos rêves individuels qu’ils soient à porté personnels ou à visé collectifs. L’individualisation et la psychologisation de la société cachent les déficits structurels sociaux, les contradictions et les paradoxes de la société.

« Il est devenu indispensable de faire un travail continu sur nous-mêmes. Alors que certains s’essayent à la méditation ou au yoga pour augmenter leurs facultés de concentration au bureau, d’autres recourent à des coachs pour définir leurs objectifs de carrière (…). La pratique de ces activités n’est pas simplement tournée vers le plaisir ; elle est largement conditionnée par la conjoncture économique et par le spectre du chômage, qui telle une épée de Damoclès, plane sur la tête des agents du néolibéralisme. » (Le Syndrome du bonheur)

L’impératif de responsabilité personnelle est intériorisé, ce qui a pour effet pervers l’autodénigrement (la culpabilité). Il y a un « effondrement général de la dimension sociale au profit de la dimension psychologique ». Le deuxième point qui me vient est le vocabulaire même utilisé. Pour commencer « développement personnel ou spirituel » offre une vision de croissance spirituelle et personnelle à travailler et poursuivre tout au long de sa vie.

Pour cela, nous apprenons par exemple, la gestion de nos émotions pour trouver une paix intérieure et une stabilité plus profonde. Je pourrais continuer ainsi longtemps, mais nous allons nous arrêter là pour illustrer mon propos. Si je reprends ce qui est dit au-dessus, je peux voir : une responsabilité individuelle très forte, des termes comme : croissance, gestion, tout ce champ lexical qui appartient à un courant politique que nous pourrions classer de droite technocratique (la culture des startup nations).

 

Le « Syndrome d’utopie » de Palo Alto.

Une grille de lectures de nos propres aprioris. Watzlawick, Weakland et Fisch décrivent un processus qualifié de Syndrome d’Utopie aux « ambitions ésotériques » qui consisterait à atteindre un monde sans problème et à vivre en permanence une « extase émerveillée ». Ce processus est décrit notamment par G. Nardone quand il aborde la question des régimes et de leurs échecs retentissants. Il faut croire en notre utopie/ notre bonheur pour qu’on puisse l’atteindre. Si on n’y arrive pas : nous n’avons pas assez essayé donc il faut continuer ! Une logique fondée sur l’idée de détenir une « solution définitive, totale » valable tout le temps…

 Un exemple frappant de restructuration sociale lié à la psychologie positive et à la spiritualité concerne le monde du travail. En effet, le bonheur refaçonne les notions de travail et de salariat de manière à les faire coïncider avec les nouvelles exigences organisationnelles. Cela justifie ainsi les aspects les plus cruels de l’économie de marché. Les besoins de l’entreprise se retrouvent à fusionner avec les besoins du salarié, c’est une mutation profonde du rapport au bonheur qui est installé. Frédéric Lordon le montre, en particulier dans “Capitalisme, désir et servitude ». Le projet du capitalisme néolibéral (que je nomme technocratique), affirme Lordon, est désormais : de façonner notre désir, en optimisant “l’exploitation passionnelle”. Le capitalisme est prédateur par nature, affirme-t-il : “Une hypothétique sortie du capitalisme, ne libérera nullement des enjeux de la capture.” Si l’idée d’une rupture avec le capitalisme a encore un sens, elle passe par une reconfiguration de nos désirs.

 


Fondements scientifiques de la psychologie positive :

Martin Seligman chercha à prouver la communauté scientifique de la légitimité de ses recherches sur le bonheur. Enquête de Barbara Ehrenreich sur l’Equation du bonheur :

B = E + C + F

B=bonheur E= espace des possibles  C= circonstances extérieures (ex: mariage, religion, âge, éducation …) F= les variables sous contrôle volontaire

Critique principale: la psychologie positive perpétue l’idéologie technocratique.

Selon Gerald E. Leford (1994), la proposition selon laquelle « un travailleur heureux est plus productif participe de l’idéologie managériale en brouillant les fondements légitimes du conflit entre travail et capital en mettant davantage l’accent sur les causes psychologiques que sur les causes sociales de la démotivation des employés » (1999).

« Il y a une forme de provocation dans la vraie sagesse, parce qu’elle se confronte à ce qu’on ne veut pas voir quand on aborde ce sujet-là : le travail, l’argent, la violence, la sexualité, les difficultés. La Vie, en somme… Le pseudo-rage entre dans sa forteresse intérieure, lisse et douillette, et rien ne semble l’atteindre » (F. Midal, Foutez-vous la paix).

 


La religion une voie collective ?

À l’inverse de la spiritualité, se trouve la religion. Qu’on place bien souvent comme plus dogmatique, plus figée et plus ancrée dans un ancien monde. La religion qui vient du latin « religare » qui veut dire relier.

Nous voyons alors une vision profondément différente ou le groupe est important voir soudé. Que ce soit autour du prêtre, du rabbin, du lama, du chaman… la communauté est importante et structure une partie du social des personnes qui y participent. Vous pourriez cependant vous dire qu’il existe aussi des groupes « spirituels » qui partagent leur vision collectivement ce qui devrait alors faire communauté et relier les personnes, autant que tous cadres religieux ? Sauf que nous somme passé d’une communauté d’idées à une communauté d’individus. Pour illustrer le propos, demandez-vous : si vous avez un désaccord dans ce groupe, qu’elle serait la réponse la plus fréquente ? : Je me suis trompé ? Ou est-ce qu’une personne du groupe s’est trompée ? ou Que la vérité est individuelle, que chacun à la sienne.  Ce qui met alors l’individualité au-dessus de l’idéologie partagée par la communauté.

De la même manière des communautés ont souvent un impact politique, elles sont ancrées dans ce monde et y portent une marque. De cette manière ce qui en ressort, est que le travail intérieur est collectif et dans un cadre social. De même, un changement personnel dépend non pas de notre seule volonté, mais aussi du cadre social dans lequel notre vie y est inscrit. L’évolution personnelle devient alors affaire de lien entre une communauté et une société dans laquelle elle est placée. Le changement ne pouvant se résumer à une question de volonté et de capacité individuelle (discours qui plairait grandement à un certain E. Macron).

 

Comment et pourquoi repenser politiquement notre rapport à notre spiritualité ?

Alors, l’objectif de cet article n’est pas de pousser à retourner vers une religion, notre société s’en éloigne depuis longtemps pour des raisons légitimes. La séparation du politique et du religieux en est un très bon exemple. Cependant, il pourrait être intéressant de poser notre regard sur la manière dont nous concevons notre spiritualité, la manière dont le groupe a été rejeté de ce cadre et dont une vision sociale politique et économique c’est profondément infiltrée dans les domaines spirituels. Domaines profondément intimes qui ont un rôle structurant pour la personne.

De fait, sans y porter attention, c’est tout un cadre idéologique que nous intégrons et qui se retrouve parfois en dissonance cognitive entre notre vision spirituelle et notre vision politique. Sachant que le plus intime oriente bien souvent le reste de notre vision, il pourrait être important de conscientiser notre vision globale que nous avons de tout cela, pour faire des choix et avancer sur une voie en toute conscience.

Se poser des questions politique pour soi, pourrait alors apporter un nouvel éclairage dans notre rapport à nous même et aux autres.

Le changement social et politique que je souhaite voir surgir dépend-il de moi, de ma volonté et de mes capacités, ou est-il lié à un cadre culturel, à un rapport de classe sociale, à un rapport de force politique ? De la même manière, mes rêves personnels sont-ils lié à une vision idéologique particulière ? Les ouvrages ou vidéos que je regarde portent-t-ils une vision idéologique ou une vision politique particulière ? Cette vision me correspond-elle ?

Si je pense que le contexte social peut influencer ma vie sociale, peut-il aussi influencer ma vision spirituelle ? Ce pourrait-il qu’un cadre politique omniprésent induise de manière profonde, des mutations dans notre rapport à notre spiritualité ? De nombreuses questions à se poser, pour déconstruire une idéologique présente et pour cheminer vers une forme de cohérence entre mes valeurs, mes orientations politiques et ma voie intérieure qui peuvent s’être éloignées sans forcément s’en être rendu compte.

 

« Le projet du « développement personnel », s’ouvrant sur une quête existentielle de soi, se prolonge par un projet gestionnaire : il s’agit de se connaître et de s’accepte … pour s’améliorer, c’est-à dire pour être plus efficace, performant, adapté. Cette quête de soi est donc profondément ambivalente, entre humanisme et utilitarisme. (…) Les discours et pratiques « psy » en entreprise s’inscrivent sous le signe du paradoxe. Ils font l’éloge de la personne, (…) la capacité à devenir libre et authentique… CECI POUR MIEUX FAVORISER L’INDIVIDU À CE QUE L’ORGANISATION ATTEND DE LUI. ».

Brunet. Sociologue Sous-titre important : « le développement personnel en entreprise, nouvelle pratique de pouvoir? ».